Jean-Marc Trihan : « Si les choses ne changent pas, le club retournera là d’où il vient »

Le verdict est tombé, en provenance du siège de la FFR. La saison de rugby s’arrête là pour le REC et déjà, l’exercice 2021-22, avec des objectifs élevés, pointe à l’horizon. Des ambitions que le club ne pourra pas assumer seul comme nous l’explique son président, Jean-Marc Trihan, dans un entretien sans concession.

Quatre matches, quatre victoires : ce sera tout pour cette saison 2020-21. On imagine que la frustration prédomine aujourd’hui dans les rangs du REC ?

Nous avions pris un très bon départ et nous étions en très bonne posture, après quatre premiers matches riches d’enseignements positifs. Nous ne nous étions pas trompés sur le choix des hommes pour construire ce groupe, fortement remodelé. Tout avait parfaitement pris. Au niveau du staff, nous avions décidé, en concertation avec les intéressés, de donner les clés du groupe de Fédérale 1 à Kévin Courties, Mikaele Tuugahala et Vincent Bréhonnet, Yann Moison devenant directeur sportif. Le staff médical était également en ordre de marche et la préparation physique était optimale, avec Yoann Carnot désormais à temps plein avec nous. Cet attelage qui fonctionne bien sera évidemment reconduit pour la saison prochaine, comme la majeure partie du groupe. Alors forcément, oui, il y a une vraie frustration à voir la saison s’arrêter d’un coup net pour les amateurs. D’autant que nous comptons une trentaine de joueurs sous contrat à temps plein ou partiel et que nous sommes donc en partie pros…

Cette décision de la FFR vise pourtant le rugby amateur…

Le problème est là. Aujourd’hui, nous fonctionnons comme un club professionnel, avec des joueurs sous contrat à temps plein (14) et d’autres en pluriactivité, à mi-temps au REC (16). À partir de là, devons-nous être considérés comme un club amateur ? Nous sommes plusieurs dans ce cas en Fédérale 1. Plus étonnant, cette situation se présente également dans la division Nationale, créée l’été dernier : la majeure partie des clubs ont ce fonctionnement. Eux n’ont pas été arrêtés par la FFR, pour le moment. Et ils ne dépendent pas pour autant de la Ligue professionnelle… Que fait-on ? Que doit-on comprendre et expliquer à nos joueurs, à notre staff ? Ces décisions ne sont pas sans conséquence pour un club comme le nôtre, à plusieurs niveaux.

Lesquels ?

D’abord et avant tout sur le plan sportif. Notre ambition était et reste de monter en division Nationale. Nous allons perdre un an pour atteindre cet objectif. Les joueurs étaient prêts, ils travaillaient d’arrache-pied depuis décembre pour revenir sur les terrains. Et il y a eu la décision récente que l’on sait… Maintenant, il faut savoir comment organiser les choses pour qu’ils puissent rester compétitifs, en forme et concernés, sans attendre la préparation physique pour la saison prochaine. Au-delà du terrain, nous sommes dans un modèle qui s’appuie sur les partenariats, privés en grande majorité. Il y a des dirigeants, un staff, des joueurs à payer. Nous bénéficions des dispositifs de l’État, oui, mais cette année blanche n’est pas vraiment la bienvenue. Nous avons la chance qu’il y ait des entreprises impliquées dans le projet REC. Elles ont maintenu leur sponsoring, elles nous suivent mais elles ne pourront pas toutes rester indéfiniment pour nos beaux yeux, s’il n’y a pas de matches… Elles aussi ont leurs difficultés dans ces temps de crise. Il faudra batailler pour maintenir un projet ambitieux et cohérent. Ajoutez à cela la billetterie et vous comprendrez que cet arrêt n’arrange pas du tout les clubs ayant un modèle s’appuyant sur les partenariats privés et publics.

« Indigne d’une ville comme Rennes »

Concernant la partie publique, justement, on sait que vous portez un projet d’aménagement du site Robert Launay, afin de développer vos installations. Où en êtes-vous avec la mairie sur la question ?

Nous avançons sur la question avec la mairie de Rennes qui, en dépit d’une situation compliquée, fait l’effort de travailler de concert avec nous. L’idée est de mutualiser et de moderniser les installations du site Robert Launay, dédié auparavant à l’ASPTT Rennes. Nous y installerions une salle de musculation, des bureaux pour le staff, et nous pourrions disposer des terrains déjà existants pour créer un vrai site digne de ce nom, mutualisé avec le Stade Rennais Rugby (pour les équipes Élite REC et SRR), le football américain et l’ASPTT. Nous aurions là un pôle rugby de haut niveau, nécessaire pour connaître non pas un avenir meilleur mais un avenir tout court. Crubillé serait alors dévolu aux Espoirs du REC et du SRR.

Crubillé est-il devenu trop petit pour accueillir autant de joueurs et de joueuses ?

Par temps de Covid-19, c’est encore pire que cela. On ne peut pas décemment continuer de proposer aux joueurs et aux joueuses de soulever des barres de musculation à 0° sur un plancher de préfabriqué troué. C’est impossible, dangereux et indigne d’une ville comme Rennes. Nous travaillons aujourd’hui dans la précarité et cela ne peut pas continuer. On bosse, des décisions vont être prises. Considérons cet arrêt de la compétition comme une chance d’avancer rapidement. Tout doit être prêt, à Robert Launay, pour démarrer la saison prochaine dans de bonnes conditions. On attend de la ville de Rennes de vraies initiatives.

Vous semblez remonté…

Il est temps de dire les choses. Les conditions ne sont pas normales pour nos salariés, c’est insalubre, indigne du niveau auquel nous prétendons. Je lui dis clairement mais posément : si les choses ne changent pas, le club retournera hélas là d’où il vient. Après, retourner en Fédérale 2 serait peut-être une bonne chose pour ne mettre personne en danger…

C’est-à-dire ?

Pour atteindre le haut niveau, il faut une volonté et une action de tous. Les deux années qui viennent de s’écouler ont épuisé tout le monde. S’il n’y a pas de signes et d’agissements encourageants de la part des collectivités, la vie sportive associative rennaise sera en grand danger. Soyons lucides : l’ambition sportive dépend intégralement des infrastructures dont on dispose pour performer, que ce soit pour la formation, l’élite ou l’accueil des partenaires, publics et privés.

Votre engagement à la tête du REC Rugby peut-il être remis en cause ?

Comme je vous le dis, nous – c’est-à-dire moi et d’autres présidents ou dirigeants dans le sport rennais – avons besoin de sentir que celui-ci est soutenu, accompagné, aidé comme il se doit pour pouvoir bénéficier d’un vrai développement. Il est impossible de se reposer uniquement sur les partenariats privés. À la longue, même les plus volontaires et opiniâtres finiront par dire « Stop ».

Revenons au terrain pour conclure. Le soutien des partenaires présents et la bonne santé sportive du club offrent malgré tout de belles perspectives pour l’an prochain…

Oui, il y a aujourd’hui beaucoup de motifs de satisfaction. On peut faire preuve d’optimisme, y compris avec les collectivités que je viens d’évoquer. Je suis sûr que dans l’intérêt général du sport rennais et du rugby, nous allons avancer ensemble. On réussira de belles choses. L’ambition est d’installer le REC en division Nationale avant, peut-être, de regarder plus haut. On doit continuer de développer notre formation, élément indispensable pour les succès futurs, le tout en collaboration avec les clubs voisins. Ce fonctionnement porte déjà ses fruits et tout le monde en profite. Il faudra cela pour avoir un rugby brétillien de premier plan. À nous de continuer le travail et d’accélérer. Le plus vite possible.