Fair-play financier, quête et besoin de ressources, construction d’un budget : en octobre dernier, Benoît Muller, directeur général adjoint du club, s’est entretenu avec la presse rennaise pour détailler les impératifs financiers du club européen et ambitieux qu’est le Stade Rennais. Instructif et démonstratif, avec le prisme d’un nouveau stade en toile de fond.
Pouvez-vous nous expliquer quels ont été les changements opérés sur le fair-play financier cette saison ?
Ils ont été pris suite à la pandémie, qui a contraint l’UEFA à faire évoluer ses règles. Une troisième mouture a vu le jour avec la volonté de pousser les clubs à variabiliser au maximum leurs charges, notamment sur les salaires, point le plus important.
Quand le Covid est arrivé, beaucoup de clubs étaient en grande difficulté avec de gros salaires donnés aux joueurs et zéro revenus en face. L’UEFA s’est intéressée de plus près à la manière dont dépensaient les clubs. Auparavant, il s’agissait davantage d’une notion de résultats nets. Là, l’évolution des choses à pour but de permettre de comprendre et de contrôler la manière dont les clubs dépensent leur argent généré. Suite au Covid, tout ce qui avait été en amélioration avait été ralenti et il fallait remettre une couche supplémentaire pour relancer tout cela.
Quels sont les grands principes du fair-play financier ?
Il y a trois piliers, dont le dernier a été ajouté cet été. Le premier est de ne pas avoir de dettes. Tout le monde doit être payé, les joueurs, staff et autres ainsi que toutes les administrations. L’UEFA ne voulait pas de clubs mauvais payeurs. C’est l’acte fondateur. Le deuxième pilier est basé sur l’équilibre financier, à savoir ne pas dépenser plus que ce que l’on génère. Le troisième met la lumière sur la manière de dépenser l’argent, avec la volonté de ne pas dépenser à l’horizon 2025 plus de 70 % de ce qui est gagné dans l’équipe professionnelle. Cela comprend les salaires, les amortissements et les commissions d’agents, soit le coût de ce qui est sur le terrain, joueur et staff compris. Aujourd’hui, nous sommes dans une zone transitoire à 90%, en 2024 80% et donc 70% en 2025.
Que se passe-t-il si un club ne respecte pas ces règlements ?
Il y a une grille de sanctions claire, connue de tous. Des amendes, bien sûr, pour sanctionner les dépassements ou abus. Chaque club sait exactement à quoi il s’expose en cas d’écarts et croyez-moi, les montants des amendes sont suffisamment dissuasifs pour se permettre de réitérer. Plus ça va, plus c’est cher et on peut aller jusqu’à des exclusions de compétitions, selon certains abus.
Comment se situe le Stade Rennais par rapport à tout cela ?
Aujourd’hui, nous sommes dans les clous. On connaissait les règles depuis un long moment. On dépense et on travaille en fonction de ce que l’on a le droit de faire. Tout est fait en prenant en compte cette évolution. Nous parions un peu sur l’avenir : comment remplir le stade, nos partenariats, etc. Il y a beaucoup de choses qui sont aléatoires sur les recettes. Ce que l’on sait, c’est le montant de nos engagements : ce que vous donnez à vos joueurs, le montant de vos dépenses, celui des transferts, ça c’est certain même s’il y a un peu de variable lié au résultat.
Peut-on parler de prudence ?
Oui, c’est l’idée et la philosophie du club, faire de la bonne gestion pour pouvoir accompagner les ambitions sportives en perpétuelle évolution. Ne pas être au taquet du taquet, pouvoir répondre et ne pas être obligés de vendre coûte que coûte pour rentrer dans les clous. Il faut une gestion saine pour accompagner le développement. L’ambition sportive est très grande et le club doit être capable de la suivre. On peut dépenser plus que l’on génère mais dans le FPF, pas plus de ce que l’on génère, la nuance est là. Aujourd’hui, nous sommes à 90% comme l’autorise le règlement mais déjà prêts à nous adapter à la suite.
« On ne peut pas affirmer ce que l’on ferait si notre stade était plus petit, plus grand »
Quels sont les leviers pour les recettes ?
Le premier, ce sont les droits TV, on le sait mais nous n’avons pas la main dessus et cela reste aléatoire. Ensuite, il y a tout l’aspect commercial de ce que l’on arrive à vendre : la billetterie, les hospitalités, de la publicité, du merchandising sur lequel on travaille au quotidien. Là, nous avons la main et nous travaillons tous les jours pour toujours faire mieux.
La différence entre un stade de 30.000, 35.000 ou 40.000 est-elle financièrement quantifiable ?
Aujourd’hui, c’est délicat de le projeter. Nous savons à ce jour combien génère un stade chez nous de 29.000 places. On sait ce que l’on projette de générer avec cette même capacité sur les prochaines années si les choses continuent de bien se passer sur le terrain. Maintenant, le reste, c’est un peu l’inconnue. On ne peut pas affirmer ce que l’on ferait si notre stade était plus petit, plus grand. On sait ce qu’on est capable de produire mais aussi ce que l’on ne sait pas faire. Ce n’est pas qu’une question de stade. Il y a l’environnement, l’environnement règlementaire, les droits TV…
Comment anticiper sur les droits TV ?
On prend des hypothèses qui sont, en règle générale, prudentes. Le Stade Rennais est plutôt dans cette manière de faire. On espère qu’elles seront au rendez-vous. Si les droits finalement attribués sont identiques à aujourd’hui, on sait qu’ils seront moins élevés du fait du contrat passé à l’époque avec CBC. On sait que l’on sera sur un cycle de quatre ans. Nous réfléchissons au mieux à tout cela, même si nous n’avons pas la main.
Comment anticiper le mercato qui conditionne-en partie l’exercice comptable d’un club ?
La grande partie d’un mercato est anticipée, connue. On a un coût d’équipe qui est à peu près maîtrisé car globalement, on garde souvent 70% d’un effectif. Les joueurs qui viennent remplacer ceux qui partent sont dans les mêmes lignées. On suit un budget défini au préalable. Ce que l’on ne connait pas, c’est le mercato sur la partie ventes, mais cela rentre sur la partie des actifs, et là c’est le marché qui décide. Concernant les ventes opérées cet été par exemple, il n’est pas possible financièrement de réinvestir tout ce que l’on a vendu cet été. Ça nous amènerait à avoir un coût d’équipe beaucoup trop important vis-à-vis des règlements à venir en 2024 et 2025. Vous connaissez les chiffres, si on investit la totalité, ça ne peut pas être sur des joueurs à bas salaires…
La qualification européenne conditionne-t-elle les salaires ?
Les ratios ne vont pas du simple au triple selon la compétition. On joue régulièrement l’Europe et peu de variables peuvent influer. Peu de joueurs recrutés sont des paris, on ne va pas faire venir un joueur en lui disant “Si ça se passe bien…”
Un parcours en coupe d’Europe peut-il être un vrai plus financièrement dans une saison ?
La Ligue des Champions, c’est à part, avec des montants beaucoup plus élevés. Les « Prize Money » dans les autres compétitions ne sont pas très élevés. Sur les droits en Europa League, ils sont partagés entre équipes issues d’un même pays qui vont se partager les diffusions. En 2019, la victoire face à Arsenal avait généré de l’argent. Il y avait moins d’équipes en Europa League, on s’est retrouvés seuls en huitièmes de finale et nous avions pris toute la part française.
Si on fait le même parcours qu’en 2019, on pourrait escompter des droits qui seraient de -30 % par rapport à l’époque alors qu’on aurait dû connaître une hausse. Ceci est lié à tout ce qui s’est passé à l’époque avec Mediapro et le rachat des droits européens dans la foulée, au rabais.
« L’esprit de la règle est bon mais son application est compliquée »
Il y a aussi le problème du coût du travail en France…
Tout à fait. En termes de charges sociales et patronales, nous sommes extrêmement pénalisés par rapport aux autres. Un club allemand va payer un montant plafonné de charges pour l’ensemble de ses joueurs.
C’est là-bas que le coût du travail est le moins cher, alors que la France a les charges les plus lourdes. Le taux d’imposition est globalement proche avec les pays alentours.
Le fair-play est-il plus un frein qu’une sécurité ?
Je trouve que l’esprit de la règle est bon mais son application est compliquée. Il n’y a pas deux pays où les règles sociales sont les mêmes et il faut suivre les mêmes impératifs… Ça, c’est compliqué. Aujourd’hui, on travaille sur la possibilité de mettre en place des facteurs limitants de ces différences sur les règles. On espère que des choses seront mises en place mais ça ne changera pas radicalement. A terme, on aimerait que soit pris en compte le fait des différences de coût de travail.
Pour répondre au fair-play financier, M.Pinault ne peut donc pas injecter des fonds propres aux comptes du club ?
Au niveau européen, quel que soit votre actionnaire, on ne peut pas injecter de l’argent pour répondre aux exigences du Fair-Play financier. Comme je vous le disais, on parle uniquement d’argent produit, généré.
En conclusion, le Fair-Play financier conditionne-t-il le quotidien d’un club qualifié pour l’Europe ?
On ne peut pas tout planifier et faire uniquement selon des problématiques de Fair-Play financier. Il nous guide sur pas mal de sujets mais on ne peut pas prendre des décisions qui sont aussi des décisions de gestion d’entreprise.