JRS 68 – SRFC : Jacques Delanoë : « Un club ne se construit pas sur du court terme »

Crédit : Stade Rennais F.C.

Président du conseil d’administration du Stade Rennais depuis 2017 et supporter des  « Rouge et Noir » depuis toujours, Jacques Delanoë est intarissable lorsque l’on parle Stade Rennais, celui d’aujourd’hui comme de demain, avec les composantes d’un football allant toujours vite et plus loin. Un danger si l’on ne prend pas le recul et si l’on ne reste pas fidèle à des valeurs dont il est l’un des garants.

Souvent utilisé, parfois galvaudé, le terme d’ADN pour un club est entré dans le langage courant. Quel est vraiment celui du SRFC ?

Il y a plusieurs gènes pour former un ADN. Le nôtre, c’est tout d’abord la Bretagne, comme une évidence, même si une récente étude universitaire basée uniquement sur les zones de chalandise tente d’indiquer le contraire en opposant gallos et bretonnants, l’Est et l’Ouest. Depuis les premiers blasons du club, il y a toujours eu des hermines. L’affiche du cinquantenaire, c’est une scène de danse bretonne et il est incontestable que le club a toujours revendiqué ses racines bretonnes. Demandez à Kéruzoré, Floch, Didot, ou Danzé s’ils n’étaient pas fiers de jouer dans un club breton ! Les images des coupes de 1965, 1971 et 2019 sont à chaque fois la même ode à la Bretagne. C’est important en termes de valeurs car la Bretagne est une terre d’humilité, d’opiniâtreté et d’ambition, exactement comme le football.

A l’origine le Stade Rennais a été créé par des étudiants, comme d’ailleurs beaucoup de clubs et d’associations de la ville. Une ville qui a toujours eu en elle cette culture et ce dynamisme de la jeunesse. Notre ADN passe par tous ceux qui ont fait avancer le club, de ce point de vue le Stade a toujours eu un mix de Bretons et d’étrangers, aujourd’hui comme hier. Isidore Odorico, par exemple, qui a contribué avec Emmanuel Gambardella aux débuts du professionnalisme en 1932, était un Italien d’origine et il n’a pas hésité à parcourir toute l’Europe en voiture, avec les routes de l’époque, pour trouver des joueurs, tout particulièrement dans les pays de l’Est. Il y a toujours eu cette ouverture, nous sommes à l’image de notre région. Enfin, depuis plusieurs dizaines d’années dans nos gènes il y a la formation, sous l’impulsion pendant de longues années de Patrick Rampillon et maintenant de Denis Arnaud. C’est quelque chose d’extrêmement fort qui a retrouvé encore un peu plus de force cette année puisque nous avons repris notre première place française et la quatrième européenne. Pour illustrer cette excellence, inutile de vous rappeler les Camavinga, Tell ou Ugochukwu qui ont tous rejoint récemment de très grands clubs européens vainqueurs de la Champion’s League après avoir appris leur métier chez nous. Si c’est d’ailleurs une fierté pour le centre, c’est aussi une terrible frustration pour le club de les voir partir trop tôt attirés par le chant des sirènes. Notre mission est de faire de tous ces jeunes autant des hommes que des footballeurs. C’est pour cela, qu’au-delà du foot, les études et l’éducation ont une place très importante au centre. On a même une devise : “Réussir avec le football, ne pas échouer sans” : cette année encore, nous avons eu 100% de réussite au bac avec 19 nouveaux bacheliers. Enfin toujours en termes de valeurs, notre “Tout donner”, qui s’affiche maintenant partout, résume parfaitement la mentalité au sein du club et de nos équipes.

Et l’identité du club, de la ville ? Peut-on qualifier Rennes de ville étudiante ou/et bourgeoise ?

C’est un fait, il n’y a pas véritablement de tradition industrielle à Rennes, Citroën arrive seulement au début des années 60 et Rennes n’est donc pas une ville populaire et ouvrière au sens de Marseille, Saint-Etienne ou Lens, c’est ainsi. Il y a toujours eu à Rennes une très forte population étudiante dont on disait qu’elle retournait chez elle le week-end. C’est peut-être pour cela que pendant des années, nous avons connu route de Lorient une ambiance assez soft et des affluences moyennes voire faibles, alors qu’aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas. Il y a une grande ferveur populaire rouge et noir qui est maintenant parfaitement inscrite dans l’esprit de Rennes et de sa région, dans sa vie quotidienne et dans sa culture. Nous sommes même sans aucun doute le premier vecteur de lien social de la ville, au Roazhon Park se retrouvent dans un même élan tous les âges, toutes les conditions, toutes les religions et toutes les idées. Quand Rennes gagne le weekend, toute la ville a le moral pour démarrer la semaine !

« Nous sommes sans aucun doute le premier vecteur de lien social de la ville, au Roazhon Park se retrouvent dans un même élan tous les âges, toutes les conditions, toutes les religions et toutes les idées. »

Ce sont les résultats qui amènent cette évolution du club et de sa communauté ?

Oui ce sont les résultats, mais les résultats ne peuvent venir que de l’exigence et du travail. Un club de foot, c’est nécessairement une cohabitation obligatoire entre le très court terme et le moyen et long terme. Le court terme est jugé en permanence : le coach, les joueurs, la direction sportive, le président exécutif. Ce sont eux qui encaissent la pression au fil des matchs et qui doivent la gérer au quotidien.

Ensuite il faut également nécessairement s’occuper de l’avenir : la stratégie, la structuration, les projets, l’évolution… Il faut que ces deux réalités du court terme et du long terme soient bien en phase. Il n’y a pas de court terme performant sans une vision à long terme claire, mais à l’inverse il n’y a pas de long terme possible sans de bons résultats à court terme. Dans un club, comme le disait fort justement Fred Antonetti : “Tout part du terrain, tout revient au terrain”, mais il faut quand même savoir regarder au-delà du terrain pour avancer.

Vous êtes sur le long terme ?

Oui, même si je vis pleinement le club au présent. Ma fonction me donne l’obligation d’être garant de l’institution et l’institution, son unité de temps ce n’est pas la semaine mais plutôt la dizaine d’années. On a quand même plus de 120 ans d’existence ! Tout se construit autour de résultats immédiats, mais il faut ensuite de la stabilité pour progresser, tenir la pression pour pouvoir avancer et développer le club : construire un nouveau centre d’entraînement, réfléchir au stade de demain, affirmer un rôle sociétal, valoriser nos racines avec la Galerie des Légendes, créer une section féminine, etc. Je m’intéresse bien sûr à tout ça et j’essaye tout particulièrement d’épauler Olivier Cloarec sur toutes ces questions-là. Vouloir renverser la table après deux ou trois défaites, ce n’est pas du tout mon truc, je déteste l’instantanéité du monde d’aujourd’hui, ses polémiques et ses jugements définitifs sans aucune mesure. Ce qui me plait, c’est de travailler pour cet équilibre et cette stabilité dans le temps. Les clubs qui ont voulu aller plus vite que la musique se sont souvent cassé la figure, à l’image de la cinglante déroute du Matra Racing dans les années 80. Seuls les clubs qui travaillent dans la durée progressent, rappelez-vous du Auxerre de Guy Roux.

Cette stabilité est aussi liée à la présence des actionnaires ?

Oui, bien sûr. Nous avons cette chance grâce à la famille Pinault. A un moment où l’on peut voir un peu partout les limites de la gestion des fonds, les Pinault nous donnent évidemment une très grande stabilité, mais leur présence est surtout fondamentale dans l’attention de tous les instants et la passion familiale qu’ils portent à leur club. En plus de leurs moyens, ils nous apportent leur expérience, leur savoir-faire, leurs réseaux et leur ambition. Leur réussite dans les affaires n’a cessé de s’amplifier et de se consolider sur deux générations, mieux que personne ils connaissent donc l’importance du temps pour construire quelque chose de solide et de durable. Aujourd’hui, partout, c’est la prime à l’immédiateté, ce qui est pour moi un drame car le progrès, il faut pouvoir le faire grandir et le juger avec un minimum de recul et de temps. Dans ma jeunesse, le SRFC c’était le fameux ascenseur qui monte et qui descend, nous nous sommes ensuite stabilisés en Ligue 1 en ne la quittant plus depuis 30 ans, bien peu de clubs sont dans ce cas-là. Nous sommes ainsi passés de la D2, à la lutte pour le maintien en D1, puis au ventre mou du championnat et ensuite à la première partie de tableau, puis dans les cinq, pour aujourd’hui être attendus sur le podium. Ça ne s’est pas fait en un jour… La progression a sans doute pu sembler longue pour certains, mais elle a été constante, et finalement trente ans, à l’échelle du club qui en a cent-vingt-deux, ce n’est pas si long que ça ! Notre actionnaire a la volonté de continuer d’aller plus haut. Quand François-Henri Pinault parle du club, il parle d’un actif affectif. Monsieur Pinault et François-Henri n’ont aucune velléité à vouloir faire de l’argent avec le Stade Rennais. Ils ont un groupe international suffisamment puissant pour ne pas en avoir besoin. Depuis qu’ils ont repris le club, ils y ont mis beaucoup d’argent mais ils y ont également mis beaucoup de cœur en faisant toujours le nécessaire pour que le club soit bien géré, solide et en progrès.

 » Le Roazhon Park fait partie des stades français ayant un faible taux de places en loges »

Le club l’a affirmé, il n’avait pas besoin de vendre et est ambitieux : comment concilier l’ambition en vendant Majer, Doku ou Traoré sans les remplacer par de « gros » joueurs ?

D’abord, il y a le fair-play financier qui nous l’impose. Je rappelle, pour ceux qui l’ignorent, que le fair-play financier limite impérativement le coût de l’équipe, le “squad cost”, d’un club à 70% de ses ressources propres sous peine d’être exclu des coupes de l’UEFA. Il nous faut donc des ressources indépendantes de la fortune de notre actionnaire, des ressources générées par le club à la hauteur du niveau d’équipe que nous souhaitons. Nous devons donc impérativement développer ces ressources pour pouvoir augmenter notre masse salariale et ainsi acheter ou conserver de très bons joueurs, qui par définition sont les mieux payés. C’est bien le SRFC qui doit produire cet argent par la vente de joueurs, les droits TV, la billetterie, le sponsoring et le merchandising. La seconde raison est simple : pour recruter un grand joueur européen, il faut qu’il veuille venir, et aujourd’hui, le Stade Rennais n’a pas encore le standing pour faire venir des top players européens. Avant même de parler de nos désavantages sociaux et fiscaux à l’échelle européenne, c’est la réalité.  C’est pourquoi les grands joueurs que nous avons eus sont soit ceux que l’on a formés, comme Dembélé ou Cama, soit des garçons très expérimentés, plus près de la fin de leur carrière que du début, souhaitant poursuivre leur aventure professionnelle à un haut niveau dans un cub séduisant, réputé sérieux et ambitieux, ce fut le cas récemment pour N’Zonzi, Mandanda ou Matic.

Pour ce qui est de Jérémy Doku, 20 ans, on parle de City, le meilleur club du monde, qui vient le chercher avec un certain Pep Guardiola qui lui parle dans l’oreille ! Si on ajoute à cela un salaire très certainement sans aucune commune mesure avec ce qu’on peut lui donner, on comprend vite ! C’était impossible de le garder et lui ne pouvait pas refuser une telle opportunité. Majer, c’est différent, mais là aussi il y a beaucoup de paramètres assez complexes, dont l’affinité avec son compatriote Nico Kovac, le coach croate de Wolfsburg. Enfin concernant Hamari, qui je le rappelle à fait le choix de partir libre, contrairement à ce qui a pu être dit nous lui avons fait une très respectable proposition qu’il n’a pas jugé utile d’accepter, c’est sa décision, on la respecte. De manière plus générale, j’ai pleine confiance en Florian Maurice pour analyser toutes les composantes d’un mercato et faire les meilleurs choix possibles pour renforcer l’équipe, même si je n’oublie pas que le foot est loin d’être toujours cartésien avec ses bonnes et ses mauvaises surprises. J’ajouter que si certains regrettent Jérémy et Lovro, c’est justement parce que Florian a eu le talent de les repérer et de les convaincre de nous rejoindre.

« Selon une étude IPSOS de l’an dernier, nous sommes aussi aujourd’hui devenus le quatrième club le plus populaire derrière Paris, Marseille et Lens. »

Crédit : Stade Rennais F.C.

Sur l’échiquier national et européen, où situez-vous le Stade Rennais ?

C’est un club qui compte, ça c’est certain. D’abord par son ancrage dans le championnat de France, où il fait partie des plus anciens clubs professionnels, le 4ème après Le Havre, Bordeaux et Marseille, et qui avec un total de 64 saisons en première division est dans le top 5 français. Selon une étude IPSOS de l’an dernier, nous sommes aussi aujourd’hui devenus le quatrième club le plus populaire derrière Paris, Marseille et Lens. Nos fans pèsent beaucoup dans la balance de nos progrès avec selon IPSOS 1 600 000 supporters déclarés et 2 100 000 followers sur les réseaux sociaux. Sans oublier que nous jouons maintenant à guichets fermés à chaque match avec la venue de plus de 650 000 personnes par an au Roazhon Park dans une ambiance aujourd’hui unanimement reconnue. Enfin nous jouons l’Europe tous les ans, soit une quarantaine de clubs européens rencontrés ces dernières années. Bref, sans pour autant nous griser, on peut me semble-t-il dire légitimement que nous sommes devenus un club qui compte.

Mais pas un grand club ?

Un grand club, c’est quoi ? Des trophées! Notre armoire est certes encore un peu vide, avec seulement trois coupes de France. Le palmarès c’est ce qui compte pour exister au niveau national comme au niveau européen c’est incontestable. Des clubs pèsent encore en terme d’image grâce à cela, même si leurs victoires remontent à longtemps, voire très longtemps. Mais en vérité, si Saint-Etienne ou Bordeaux sont toujours considérés comme des grands clubs, force est de constater qu’ils sont aujourd’hui en Ligue 2… Il nous manque donc encore des victoires marquantes et des titres, mais rassurez-vous, nous avons quand même un passé plus que respectable comme j’invite chacun à venir le constater dans la Galerie des Légendes du Roazhon Park. Pour aller plus haut, notre progression doit être impérativement globale : staff, joueurs, image, ferveur populaire, et bien sûr palmarès. C’est pourquoi il est impératif d’avoir des équipements adaptés et performants, centre d’entrainement, centre de formation et stade pour pouvoir continuer d’améliorer notre niveau.

C’est un projet ?

Pour le centre d’entrainement, ce n’est plus un projet, ce sera une réalité fin 2024 pour le bâtiment des pros et début 2026 pour l’ensemble de la Piverdière. Pour le stade ce n’est pas un projet, c’est tout simplement un besoin qui devient crucial. Nous devons cesser de refuser du monde, de nous priver d’abonnés, de frustrer nos supporters qui ne peuvent pas venir autant qu’ils le souhaiteraient. Nous ne pouvons plus continuer ainsi et c’est vrai pour le grand public comme pour les entreprises. Je ne parle même pas de la boutique où nous accueillons nos fans sous une structure provisoire…

Il est reproché au club par certains supporters de privilégier les VIP…

On entend cela mais sincèrement c’est un faux procès ! Je vous ai expliqué les contraintes du fair-play financier et pour pouvoir avoir une belle équipe nous devons faire rentrer de l’argent avec plus de partenaires privés, cela fait nécessairement partie du modèle. Le Roazhon Park fait partie des stades français ayant un faible taux de places en loges. Alors si certains disent que l’on privilégie les entreprises partenaires, c’est une idée reçue, nous prenons soin de l’ensemble de notre public et toutes nos animations en témoignent. Certes nous avons un nombre d’entreprises trop faible à faire évoluer, mais ça ne se fera jamais au détriment du grand public, jamais nous n’opposerons VIP et supporters, loges et tribunes populaires. On a besoin de tout le monde et surtout que tout le monde y trouve son compte.

Je comprends en ces temps difficiles que l’on soit très sensible au prix des places, mais regardez-y de plus près, comparez avec les autres clubs de Ligue 1 et vous verrez que Rennes est un club tout à fait accessible et qui le restera.

« Notre actionnaire a la volonté de continuer d’aller plus haut »

M. Pinault peut-il acheter le Roazhon Park ? L’idée a-t-elle été évoquée ?

Encore faudrait-il qu’il soit à vendre et que M. Pinault souhaite l’acheter ! A ma connaissance, le Roazhon Park est propriété de la Ville de Rennes qui n’a pas la volonté de le vendre. Aujourd’hui, il y a une réflexion pour bien recenser nos besoins et étudier des pistes pour l’avenir.

Votre position de président du conseil d’administration nécessite-t-elle le recul ?

Ce que l’on vit là, aujourd’hui, certains n’osaient même pas en rêver hier. Quand on a connu comme moi les chambrées à 5 000 personnes en D2 dans un stade vieux et triste, on mesure mieux le chemin parcouru. Aujourd’hui, faire l’Europe tous les ans, c’était presque inconcevable hier. Comme tous, j’aimerais rejouer la Champion’s League. Nous l’avons jouée une année de Covid, c’était terrible, dans des stades vides, cette musique tant attendue sans personne en tribunes pour l’écouter… c’était vraiment triste. Donc oui, nous souhaitons toujours progresser mais ça ne se fait pas en claquant des doigts.

Aujourd’hui, Rennes est installé dans le top 5. Le vrai progrès est-il de pouvoir regarder plus haut ?

Bien sûr que notre volonté est de ne pas en rester là et nous faisons tout pour y arriver. Néanmoins nous ne sommes pas les seuls à avoir cet objectif. C’est pourquoi nous n’irons jamais promettre la lune aux supporters comme d’autres l’ont fait ou le font. Quand on le fait, en général, cela finit mal. Moi, j’assume une volonté de progrès continus, de ne pas s’arrêter, de tout faire pour élever toujours plus haut notre plafond de verre.

Sur le plan européen, avez-vous une responsabilité vis-à-vis des points UEFA et de l’image du foot français ?

Ces dernières années le Stade Rennais est le deuxième contributeur de points UEFA pour la France derrière le PSG. Nous participons dons pleinement au rayonnement du foot français. Tout le monde y a pris goût et veut vivre d’autres belles soirées européennes, aller encore plus loin, passer un cap. Le match du Chakhtar l’an passé, c’est une élimination avec un but aussi cruel qu’improbable à la toute fin des prolongations, on ne fait pas un si mauvais match mais ça s’arrête là très brutalement après une séance de penalties… Ce fut très dur, mais les regrets sont surtout contre Fenerbahçe, à l’aller comme au retour. On a besoin d’un coup d’éclat sur la scène européenne, on en a réussi au Bétis et contre Arsenal et là Fenerbahçe nous tendait les bras, on pouvait, on devait gagner à Istanbul dans un stade très hostile pour réaliser un exploit… et l’on finit à 3-3, ça reste pour moi une énorme déception avec la suite que l’on connaît.

Le métier, l’expérience sont-ils encore des arguments recevables après six campagnes de rang ?

Six campagnes, c’est encore peu en comparaison de la plupart des clubs que nous affrontons. L’avantage, c’est que ces campagnes se suivent et qu’ainsi on emmagasine de l’expérience sans interruption. Aujourd’hui, nous avons besoin de poursuivre notre apprentissage sur la scène européenne pour continuer notre progression. En voyageant, on voit d’autres cultures, d’autres façons de faire, d’autres manières de vivre le football, d’autres histoires, d’autres identités de clubs. A Krasnodar par exemple, j’ai vu un centre de formation et un stade comme je n’en avais jamais vus. C’était incroyable de modernité, même chose pour le nouveau centre d’entraînement de Leicester ! Des visites comme ça, ça vous remet les idées en place ! Même chose quand vous entrez sur la pelouse du Stade Olympique à Rome, à l’Emirates Stadium à Londres, au stade Ramon Sanchez Pizjuan à Séville ou au Celtic Park de Glasgow, il se passe vraiment quelque chose. C’est alors l’éponge que l’on devient dans ces moments-là qui nous fait prendre des idées pour grandir, ce ne sont pas que les résultats. Par exemple, à Chelsea nous avons découvert concrètement le fameux fair-play anglais. Sous prétexte du Covid, ils ne nous ont pas mis dans le vestiaire visiteur du stade, mais dans un bâtiment extérieur assez loin où l’on devait se changer dans de pseudos vestiaires et cerise sur le gâteau, on prend une amende par l’UEFA parce que l’on a mis trop de temps pour revenir après la mi-temps ! Et je ne parle pas de l’arbitrage que j’ai encore en travers de la gorge ! Mais on apprend, et lors du forfait de Tottenham, on aurait pu se faire avoir si on n’avait pas commencé à comprendre un certain nombre de choses pour bien nous défendre.

Votre rôle est celui de garant de l’institution, mais aussi d’assurer le lien avec l’actionnaire ?

J’ai l’honneur d’avoir la confiance de la famille Pinault, père et fils, et cela me donne une obligation de loyauté et de relais local. C’est Olivier (Cloarec) qui dirige le club au quotidien, il a beaucoup à faire et il le fait sobrement avec un grand professionnalisme et une grande implication. On discute beaucoup ensemble, il me tient au courant de tout et je n’hésite jamais à l’aider si je le peux. Je ne suis ni un professionnel du football, ni un salarié du SRFC. Je fais les déplacements parce que j’ai en moi cette passion rouge et noir, mais surtout pour ressentir le groupe de l’intérieur, vivre le pouls du club pour être sûr que tout va bien. Aujourd’hui, je trouve que tout le monde travaille très bien ensemble et ce collectif est un plus énorme. Cette unité et le fait d’aller dans le même sens solidifient chaque jour un peu plus le club. Au-delà du classement, c’est à moi d’être attentif à ce que cet état d’esprit ne faiblisse pas. Pour cela, il faut de la hauteur et du recul, travailler dans la durée. Garder la tête froide dans les mauvais moments et sans doute encore plus dans les bons. On a eu un très bon test la saison dernière où tout le monde est resté parfaitement uni lors d’une période délicate de résultats pendant laquelle nous étions très critiqués. Bruno Génésio était malgré tout confiant pour le sprint final, on est restés soudés, et nous avons été chercher un 12 points sur 12 pour finir quatrièmes au soir du match de Brest.

Et si ça n’avait pas été le cas, y’aurait-il eu une remise en cause du staff ?

Dieu merci ça a bien été le cas et nous sommes allés chercher une sixième participation européenne consécutive en battant pour la deuxième fois d’affilée quasiment tous les records du club. Je redis ici que Bruno Genesio, l’homme comme le technicien, nous apporte vraiment beaucoup car, en plus de sa grande expérience et de son professionnalisme, il correspond parfaitement à nos valeurs. Et même si je sais que le métier d’entraîneur est usant et que dans notre championnat la durée de vie d’un coach n’est que de 14 mois, je souhaite qu’il puisse rester encore longtemps avec nous. Cela étant dit, il ne faut jamais oublier que les hommes passent et que seul le club perdure.