Loin, très loin des folies, des caprices et des millions des mercatos du football, le monde des transferts du handball a ses codes, ses us et coutumes, pas toujours bien compris des non-initiés. Alors que les matchs s’enchaînent en championnat, en coulisses, se joue déjà la construction des effectifs 2023-2024.
Recruter, fidéliser, convaincre et tirer la quintessence d’un groupe, d’une équipe. Véritable sujet au cœur de l’actualité du monde des entreprises, celui-ci l’est aussi dans le monde du sport. Dans le hand, il requiert cependant une organisation très importante, sollicitant toutes les parties du sport, joueurs, entraîneurs, agents et club. Faute de transferts payants, sauf cas exceptionnels, comme celui de Luc Steins transféré de Toulouse au PSG pour près de 800.000 €, somme totalisant les mois de salaires restant dus du contrat en cours et une indemnisation sur la valeur du joueur, soit une bonne partie du budget de la saison du Fenix, l’anticipation devient le maître-mot !
« Aujourd’hui, avec les agents, les sollicitations sont presque non-stop tout au long d’une saison. » David Christmann
Dans le monde du hand, les règles ne sont pas simples mais à la fois, limpides et déconcertantes. Les joueurs de Starligue et de PRO B, ainsi qu’un bon nombre de joueurs de N1, sont ainsi liés à leur club par un CDD, définissant une durée d’engagement précise. Jusque-là rien de bien orignal ou de notable. Oui mais… Choisir son club sans que son avenir soit fixé, dans le positif comme le négatif, peut avoir de sacrées conséquences. Des exemples comme celui de Robin Cantegrel, cessonnais durant une saison (2019-2020), il en existe à la pelle. Alors gardien de Pontault-Combault à la lutte pour le maintien avec le CRMHB, en Starligue, celui-ci affronte son futur club au cœur du mois de mai dans un match capital pour le maintien. Sans états d’âme, il enchaîne les arrêts et précipite la chute de… son futur employeur en Proligue, qu’il retrouvera donc dans le but breton. La raison ? Ayant signé en décembre précédent, dans un moment où Cesson avait un petit matelas sur la zone rouge, le portier alors en vogue n’imaginait pas pareil scénario.
Dans la même situation, le pivot Senjamin Buric, lui, résiliera en accord avec le CRMHB son engagement pour finalement rejoindre le HBC Nantes, le club ne pouvant supporter son salaire en Proligue et le joueur ne voulant pas y évoluer. Ces deux exemples illustrent bien les complexités rencontrées par les clubs, dans un jeu de chaises musicales savamment orchestré par des agents plus intéressés par le fait de placer leurs joueurs coûte que coûte que par les dénouements de championnats où, de plus en plus, ils font la pluie et le beau temps.
Quand une saison démarre sur les parquets, c’est la suivante qui se joue déjà en coulisses. Au jeu des renouvellements de contrats, plusieurs attitudes se distinguent. D’abord, celle de l’agent qui, après trois ou quatre belles prestations, sollicite le club pour prolonger, avec un salaire à la hausse, son poulain, tout en avertissant la concurrence d’une possibilité situation contractuelle favorable à venir. La loi de l’offre et de la demande, direz-vous, rien de bien original mais dans le cadre du sport, des situations déroutantes. A ce sujet, Sébastien Leriche explique : « Dès septembre ou octobre, des décisions peuvent déjà être prises concernant un joueur, s’il va ou non poursuivre avec nous à l’issue de son contrat. Ensuite, quand il s’agit de l’en aviser, ce n’est jamais simple, ni le bon moment. »
Sur le papier, l’idéal paraitrait être, quand un cas est tranché de concert entre staff et direction, d’en aviser au plus vite le joueur, afin qu’il puisse se retourner. Même s’il sait qu’il ne sera pas de l’aventure l’année suivante, il peut ainsi trouver un nouveau club, se montrer. Le cas d’un joueur qui ne digère pas et déjoue peut aussi forcément arriver même si l’évidence, le contrat en cours le liant à son club l’oblige à un certain degré de performance. Mais tout cela reste de la théorie. Existe-t-il de fait un timing idéal pour les effets d’annonce ? « Sincèrement, quoi que l’on fasse, c’est compliqué. Soit on vous reprochera – l’agent ou le joueur – d’avoir statué trop tôt, de ne pas avoir laissé sa chance au joueur, soit à l’inverse, de prévenir trop tard, de ne pas avoir été francs dès le départ. Mais c’est le handball d’aujourd’hui, il faut faire avec et c’est la même chose dans tous les clubs… »
Même constat un peu plus haut, en écoutant David Christmann, directeur sportif du club et entraîneur du club pendant quinze ans : « Aujourd’hui, avec les agents, les sollicitations sont presque non-stop tout au long d’une saison. Dans ma fonction, j’ai le recul sur la relation avec le joueur. Je dois statuer en fonction des besoins exprimés par Sébastien et de son ressenti. Pour les prolongations ou départ de l’effectif, nous discutons et décidons ensemble. Parfois les joueurs décident de leur côté, en nous prévenant une fois leur décision prise, souvent de partir. Côté arrivées, je dois cibler les besoins, définis par la saison en cours, et identifier les apports qui nous paraissent nécessaires pour le projet de jeu du coach. Je discute avec les agents, identifie les faisabilités et propose ensuite à Sébastien. Très souvent, nous tombons en accord. Il y eut un cas où nous ne l’étions pas mais la suite sur le terrain avait validé le choix. »
La formation à la française en danger
Pour la partie financière, David Christmann travaille en étroite relation avec Stéphane Clémenceau, son président. Et ce, même en plein été : « J’étais en vacances, tranquille, en Corse et David m’appelle, pour me faire part du profil d’un joueur. Il était 9 h, sous le soleil, en vacances… Franchement, si ça n’avait pas été David et que je ne le connaissais pas depuis longtemps, je ne pense vraiment pas que j’aurais répondu…, se rappelle le président, avant d’enchaîner : « La réalité, c’est qu’aujourd’hui, l’effectif de la saison prochaine est déjà quasiment construit. L’effet est immédiat, nous n’avons même pas le temps de savourer le présent, une belle série de résultats, comme actuellement. Il faut être constamment dans l’anticipation, avec une part d’inconnue, inévitablement. Les joueurs choisissent sans garantie concrète du niveau de l’équipe l’année suivante mais construisent aussi leur carrière et assurent un contrat. Parfois, on se trompe, c’est arrivé, bien sûr mais parfois, également, nous sommes critiqués, car n’ayant pas prolongé untel ou untel. Il y a toujours des choix à faire et quand ceux-ci sont faits au détriment du joueur, celui-ci, s’il n’est pas en sa faveur, le fera toujours savoir, d’une manière ou d’une autre. »
Le joueur, donc, au cœur du jeu, tant sur le terrain qu’en dehors, sait qu’il entre en position de force, souvent à un an de la fin de son contrat, même si les négociations peuvent aussi démarrer encore plus tôt, de manière à écarter toute concurrence trop prématurée mais aussi, de laisser l’esprit libre à un joueur pouvant avoir la tête ailleurs et voir ses performances altérées. L’appel de sirènes convaincantes peut parfois être fatal au bon déroulement d’une carrière, notamment pour les jeunes joueurs partant trop tôt. La confiance, le bon sens et l’honnêteté sont alors des atouts, ainsi qu’une vraie relation joueur-entraîneur-agent-club. Chacun ayant ses intérêts à défendre, l’équilibre demeure fragile mais rodé.
Un vrai danger, cependant, se pose, à l’échelle nationale, avec la formation. En Starligue, de moins en moins de jeunes Français trouvent une place dans les 7 de départ, voire sur la feuille de match. La faute à l’attractivité du championnat, bombardé de joueurs venus de tous horizons proposés à tour de mains par des agents toujours plus inspirés au moment de placer leurs éléments mais moins regardants quant à la valorisation de la formation à la française, si ce n’est pour exporter les meilleurs talents à l’étranger. Les résultats de l’équipe nationale pourraient rapidement en pâtir. Avant de prendre l’iceberg, pourtant bien en vue, en pleine face, une réforme concernant les joueurs sortant des centres et leur place dans les effectifs ne serait pas de trop… Du bon sens, en soi, mais est-ce là vraiment le sens de l’histoire ?