Maman et sportive de haut niveau : incompatible, vraiment ?

La maternité est un sujet tabou dans le sport de haut niveau, c’est une réalité. Chez les footballeuses, les cas de mères-joueuses se comptent sur les doigts d’une main. Dans l’athlétisme ou les sports de combat, il y en a déjà un peu plus. Le handball, lui, pourrait faire partie des exceptions avec beaucoup de grandes joueuses ayant su mener leur carrière et leur vie de famille sur le même front. Mais alors pourquoi cette situation, si naturelle, demeure-t-elle si compliquée à gérer pour beaucoup ?

«Comment peut-on reprocher à une femme de tomber enceinte en 2021 ? On a accepté trop de choses. La société doit arrêter de discriminer les femmes. C’est important que la voix des femmes se fasse entendre », confiait Lara Lugli, volleyeuse italienne chez nos confrères du Parisien il y a quelques semaines. Son histoire a fait le tour de monde depuis maintenant 2018. Alors qu’elle évoluait au sein du club de Pordenone en Italie, pensionnaire de Troisième division, la jeune femme âgée de 39 ans tombe enceinte. Elle est licenciée sur le champ, sans préavis ni indemnités, pour avoir annoncé sa grossesse en plein milieu de la saison sportive, un moment jugé important par le club.
La malheureuse fera une fausse couche et pour rajouter encore un peu plus de pathétique sur l’attitude du club transalpin, celui-ci, non content de son forfait, choisit de poursuivre sa joueuse en justice et demande de l’argent, le tout en respectant parfaitement la loi italienne… Sans commentaire… En France, un autre événement avait lui aussi ébranlé la planète Hand, du côté du Nantes Atlantique Handball en 2020. A l’époque, six joueuses avaient élevé la voix pour faire savoir que des tests de grossesses avaient été réalisés sans leur consentement, à l’insu de leur plein gré, provoquant une vague d’indignation et un coup de projecteur sur un phénomène loin d’être anodin.
Avant d’être des sportives de haut niveau, nos championnes sont avant tout des femmes et des mamans en puissance, en pleine force de l’âge. A Saint-Grégoire, les filles du SGRMH évoluent en Division 2. Chez les Roses, la question de la maternité n’est pas un problème, ni un débat ! « Quand une joueuse déjà expérimentée arrive au sein de notre club, nous avons conscience que lors de sa deuxième année de contrat, il y a une possibilité pour qu’elle tombe enceinte. Nous ne sommes pas surpris, c’est dans la suite logique des choses de la vie privée et du couple et nous nous inscrivons sur le moyen et long terme avec elles », explique Olivier Mantès, entraîneur du club. Laure Bulucua, joueuse du club arrivée en 2019, est maman depuis quelques mois. Au sein du club, la nouvelle a été très bien reçue, tout le monde ayant avant tout pensé au bonheur de la future maman et de sa famille avant de penser à l’absence à venir de la joueuse. « C’était un projet de vie depuis un long moment, ce n’était pas forcément prévu cette année, c’est arrivé plus tôt que ce que nous avions pu l’imaginer. Je pensais plutôt tomber enceinte après ma carrière professionnelle ».

« MON JEU SUR LE TERRAIN VA CHANGER C’EST SÛR. JE NE SAIS PAS ENCORE TROP COMMENT, NI POURQUOI MAIS JE PENSE QU’ÉMOTIONNELLEMENT JE SERAIS ENCORE PLUS IMPLIQUÉE SUR LE TERRAIN. »

La vie et l’amour en ont décidé autrement ! Dans le hand, plusieurs internationales françaises ont déjà ouvert la voie et démontré qu’il était possible de mener les deux de front, sans craindre de perdre sa place ou pire, son travail. C’est notamment le cas de Cléopatre Darleux, Laura Glauser ou encore Siraba Dembelé, toutes trois joueuses majeures des Bleues. « Ce sont elles qui font bouger les lignes, qui peuvent prouver qu’être maman et sportive professionnelle n’est pas incompatible. Je suis fière que dans mon sport, il y ait déjà de nombreuses « joueuses-maman », continue Laure.
Devenir maman, cela devrait être donné, sans crainte ni contrainte, à toute femme qui le souhaite. Si côté physiologique, la nature a bien fait les choses, côté administratif, c’est un tout autre sacerdoce ! Dans la vie de tous les jours, les démarches sont simples : on annonce sa grossesse à son employeur et dès la date de son congé maternité connu, ce dernier peut mettre les choses en place.

Dans le milieu du sport, les barrières et complications sont nombreuses. Confrontée à cela, Laure détaille son parcours du combattant : « J’ai eu la chance de tomber enceinte pendant le premier confinement, donc je n’ai pris aucun risque question santé. Logiquement, lors d’une grossesse, elle doit attendre la fin des trois premiers mois pour pouvoir en aviser son employeur, et donc dans notre cas de joueuse, notre club. Il y a un risque de perdre son bébé. Une fois l’annonce faite, elle doit arrêter son activité de sportive…Sauf que là, tout se complique. La Sécurité Sociale ne comprend pas et ne sait pas forcément que nous avons deux activités complétement différentes, dans le cadre des doubles-projets. Pour ma part, j’ai eu la chance de rencontrer un membre du staff médical de la Fédération Française de Handball, qui m’a dit que cela était possible d’arrêter uniquement le handball et de conserver mon activité professionnelle. » Faire valoir ses droits auprès d’une administration française, voilà tout le problème du statut de sportive de haut niveau.

La joueuse du SGRMH a ainsi dû batailler pendant plusieurs semaines auprès de la Sécurité Sociale pour, enfin, avoir une réponse claire lui permettant d’être en règle avec les administrations. Est-ce bien normal ? La spécificité du sport féminin nécessitet-elle des « chercheurs » pour statuer sur des caractéristiques pourtant simples à comprendre et à la portée de tous ?
Une avancée en la matière dans le milieu du sport de haut niveau serait la bienvenue et considérer une joueuse en tant que sportive mais aussi que femme à part entière devient aussi urgent qu’évident. L’accompagnement allant avec les grossesses, en amont comme en aval, en est aussi une ! Livrées à elles-mêmes, nos joueuses et athlètes méritent d’être soutenues et sécurisées. En ce sens, à la mi-mars, le handball français a fait un premier pas, signant une convention collective pour organiser et garantir desdroits aux joueuses professionnelles de Première division. Dans cette dernière, une mesure était particulièrement attendue : garantir un maintien de salaire à une joueuse pendant un an, au lieu de trois mois actuellement, en cas de grossesse ou de longues blessures. « Oui, c’est une avancée mais encore une fois, cela ne concerne que la D1, les joueuses de D2, même sous statut VAP, ne seront pas concernées, précise Olivier Mantès. C’est un problème juridique mais c’est un premier pas qui, je pense, va engendrer de bonnes choses pour la suite notamment auprès des services de l’Etat et des administrations ».

À LA MI-MARS, LE HANDBALL FRANÇAIS A FAIT UN PREMIER PAS, SIGNANT UNE CONVENTION COLLECTIVE POUR ORGANISER ET GARANTIR DES DROITS AUX JOUEUSES PROFESSIONNELLES DE PREMIÈRE DIVISION.

Mettre au monde son premier enfant étant selon l’adage la plus belle chose au monde, pouvoir s’en occuper comme on le veut pourrait l’être aussi. « A mon retour au club, j’ai dû aménager mes jours car en D2, les entraînements sont le soir et je ne veux pas louper tous les couchers de mon fils. Il est impossible d’avoir un mode de garde pour la journée et également pour le soir », explique Laure, qui expose là une autre facette de la vie de maman sportive de haut-niveau. Raison de plus pour un retour sur les terrains devant se faire en douceur : « J’ai vécu une belle grossesse et le hand m’a beaucoup manqué une fois que j’avais accouché. J’ai quand même pris le temps d’aller jusqu’à la fin de mon congé maternité pour cocooner chez moi avec mon bébé et mon conjoint. J’ai repris doucement de mon côté avant de demander à Pierre Dubois de me préparer un planning de reprise. » C’est donc « sans information ni discours sur le sujet lors de son cursus de formation de joueuse professionnelle » que Laure a construit sa vie de famille. Aujourd’hui, avec des aménagements d’horaires et l’envie de reprendre le handball, la joueuse rennaise pourrait faire son retour sur les terrains en mai : « Mon jeu sur le terrain va changer c’est sûr. Je ne sais pas encore trop comment, ni pourquoi mais je pense qu’émotionnellement je serais encore plus impliquée sur le terrain », conclut Laure. Interrogée sur le sujet de la maternité fin mars sur RMC, Marie Martinod n’en pensent pas moins, ajoutant : « Tellement d’athlètes, après avoir eu des enfants, sont devenues tellement meilleures, une version encore plus forte d’elles-mêmes… » Tout le mal que l’on souhaite à la défenseure du SGRMH et ses coéquipières !