En présentant sa démission le 1er mars, Julien Stéphan a fait le choix de quitter des Rouges et Noirs en pleine crise de résultats. Usé mentalement, il laisse un héritage solide, après avoir écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du Stade Rennais. Le technicien breton a sans doute déjà un plan pour la suite des évènements.
Quelle trace laisse-t-il ?
Le chapitre « Julien Stéphan » s’est brutalement refermé, sans prévenir, sur décision du héros. Comme une série Netflix dont la fin surprend et, quelque part, déçoit, l’histoire ne dit pas s’il y aura un jour une suite. Pourquoi pas encore meilleure.
D’abord, un petit rappel des faits. Présent dans le secteur de la formation depuis 2012, le natif de Rennes prend les commandes de l’équipe première le 3 décembre 2018. Il n’est censé assurer qu’un intérim mais une victoire à Lyon d’entrée de jeu (2-0) pose le bonhomme, qui enchaîne et séduit.
La suite, tout le monde la connaît. Par cœur. On la regarde déjà avec une nostalgie qui fait oublier que ce temps-là n’est pas si lointain : une nuit d’ivresse à Séville (3-1), des coups de canon magiques face à Arsenal (3-1) dans un Roazhon Park qui n’avait jamais été à pareille fête. Les hommes de Julien Stéphan s’arrêtent en 8es de finale après un match retour manqué (0-3) mais cette équipe sort en ayant imprimé une marque puissante sur la scène européenne.
Le meilleur reste à venir. Il laissera une trace indélébile. Nous sommes le 27 avril 2019 au Stade de France. Ce soir-là, le club d’Ille-et-Vilaine écrit l’une des plus belles pages de son histoire et Julien Stéphan joue le rôle de chef d’orchestre ou chef de gang, au choix. Les images se bousculent : causerie mémorable à la mi-temps, genoux au sol et bras tendus vers le ciel au coup de sifflet final… En battant le Paris SG (2-2, 6-5 t.a.b.), le SRFC soulève sa troisième Coupe de France, la première depuis 48 ans. Le jeune technicien connaît là le zénith de son aventure rennaise.
La saison 2019-20 doit être celle de la confirmation. Elle est décevante au niveau européen, dans un groupe pourtant abordable. Mais elle permet au fils de Guy Stéphan d’installer et de révéler Eduardo Camavinga. Formateur dans l’âme, il aura lancé chez les pros pas moins de neuf jeunes issus du centre. En Ligue 1, il maintient l’équipe dans le Top 5 malgré quelques soubresauts et des mauvaises séries, déjà d’actualité. Sans être génial, le Stade Rennais se montre solide sur ses appuis et il se classe 3e après un énorme K.-O. infligé à Montpellier, juste avant l’interruption du championnat pour cause de pandémie. Une coupure finalement définitive.
Le classement est figé par les évènements extrasportifs. Le club décroche une qualification historique pour la Ligue des champions. Miroir aux alouettes, cette compétition va pomper les énergies, physiques et mentales. Rennes n’est pas ridicule, loin de là, mais il ne prend qu’un point et l’aventure lui laisse beaucoup de regrets. En championnat, le début de campagne est hyper séduisant, la suite beaucoup moins. La crise sanitaire n’arrange rien. Il y a les blessures, les tests PCR, l’ambiance générale, les stades vidés de leur cœur, le public, l’usure des conférences de presse (quatre fois par semaine), l’impossibilité de travailler à l’entraînement, pour préserver les joueurs… Cela fait beaucoup.
Tous ces vents contraires font tanguer le « Foiler » Stéphan qui se heurte à des vagues de plus en plus hautes. La mer est toujours un peu plus agitée. Si sa communication, toujours maîtrisée (trop, peut-être), ne laisse pas apparaître les nombreuses avaries ni un début d’inquiétude, l’homme est consumé de l’intérieur par des résultats qu’il est le premier à juger insuffisants. Il préfère quitter la barre d’un navire pouvant encore être rapatrié à bon port, plutôt que de couler pour de bon avec tout l’équipage… et de risquer la noyade à titre personnel.
Choisir sa sortie, c’est aussi éviter d’être mis dehors, même s’il n’y avait pas de grosses alertes, ses dirigeants et les supporters lui manifestant un soutien sans faille. Il avait une excellente relation avec un public qui n’oubliera jamais son passage, en témoignent les banderoles déployées partout dans Rennes durant les jours qui ont suivi son départ. Le coach breton était aimé de la plupart de ses joueurs, n’en déplaise à ses détracteurs parisiens. Julien Stéphan quitte sa famille rennaise sur un échec mais avec le sentiment du devoir accompli. Il s’est offert une introduction personnelle exceptionnelle au plus haut niveau tout en redonnant de la fierté à un club qui lui aura permis de se faire un prénom.
Son départ est-il une surprise ?
« J’estime avoir fait tout mon possible, ces dernières semaines, pour sortir l’équipe de la spirale négative qui est la sienne depuis le début de l’année. » Les mots sont clairs. Julien Stéphan dressait un constat d’échec face à la crise de résultats du club. En proie au doute, Rennes n’avait gagné qu’un seul des 10 matches disputés en 2021. Dans le jeu, c’est un triste visage – sans idées ni dynamisme – qui était affiché. Le collectif apparaissait désuni, sans leaders, alors que la fébrilité défensive et l’inefficacité offensive devenaient constantes au fil des rencontres. L’homme, lui, semblait épuisé, essoré et sans solution face à une situation qui lui échappait.
La décision, assumée et responsable, surprend néanmoins, bien qu’assez logique quand on connaît le caractère de Julien Stéphan, un coach perfectionniste et exigeant. Il avait toujours la confiance de la famille Pinault et de ses dirigeants. Il représentait avant tout le projet et les ambitions d’un club qui se découvrait un nouveau statut. Et qui a connu, selon beaucoup, une crise de croissance.
Les tensions avec Olivier Létang, président de novembre 2017 à février 2020, avaient déjà entamé ses ressources. Cette fois, « l’adversaire » était ailleurs. L’énergie était insuffisante pour réveiller, bousculer un groupe qui ne répondait plus, sans pour autant avoir lâché son entraîneur. Le mercato était le sien. Les attentes engendrées (et quelque peu déçues) étaient les siennes, elles aussi. Mais jamais celui qui a cédé sa place à Bruno Genesio n’a évoqué rancœur ou amertume, ou pointé un dysfonctionnement, que cela soit avec son directeur sportif, Florian Maurice, ou avec son président, Nicolas Holveck.
Tout n’était pas parfait, même quand l’équipe tournait mieux. Julien Stéphan a peut-être tout simplement ressenti un point de côté, le besoin de dire stop à l’issue de deux années menées tambour battant. Tout est allé vite et haut. Peut-être trop vite, trop haut… Dans le film La Haine de Mathieu Kassovitz, tout est résumé en quelques mots : « Jusqu’ici, tout va bien. Jusqu’ici, tout va bien. Mais l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage… »
Y avait-il d’autres solutions ?
Personne ne peut l’affirmer ni l’infirmer. On pouvait imaginer que l’équipe rebondirait. Connu comme une équipe de séries, le SRFC était parvenu à se relever après deux mois d’octobre et de novembre compliqués. À l’issue de la campagne de Ligue des champions, l’équipe avait enchaîné quatre victoires. Le déclic (ou le sursaut) aurait pu intervenir à n’importe quel moment. Souvenons-nous de la défaite contre Cluj à 9 contre 11 la saison dernière.
Dans un moment de communion avec le public, ce match s’était avéré fondateur. Le groupe s’était fait violence pour accrocher la 3e place de Ligue 1. Le hic, c’est que le public n’est pas là cette année pour encourager ou secouer ses ouailles. Le « Stéphan Time », caractérisé par des buts inscrits dans les dernières minutes, appartient au passé. Constat implacable. Tout comme on pointe la faiblesse de l’équipe sur coups de pied arrêtés, qui étaient jadis une force.
La bonne série et la révolte seraient peut-être arrivées. Ou pas. On ne le saura jamais. Mais il était possible d’attendre la fin de la saison, au risque de finir dans le ventre mou du classement. Il n’y avait rien de dramatique à cela. Il aurait alors fallu tourner la page. Dire au revoir à une équipe qui avait gagné mais qui était en fin de cycle et repartir avec un nouveau groupe.
Aurait-il été conduit par Julien Stéphan ? L’absence de prolongation de son contrat (proposée par les dirigeants mais mise de côté par l’entraîneur) donnait une partie de la réponse. En quittant Rennes dès le mois de mars, Julien Stéphan a peut-être anticipé. Peut-être planifiait-il un changement d’horizon, une nouvelle aventure. Il a juste bouclé ses valises un peu plus tôt que prévu… On le sait : avec lui, il y a toujours – ou presque – un plan.
Quel avenir pour lui ?
L’homme s’en va, des souvenirs plein la tête, en laissant une trace unique à Rennes. Il ne faut pas l’oublier : à 40 ans, il est encore au début d’une carrière qu’on imagine prometteuse. S’il a encore, comme il l’indiquait régulièrement en conférence de presse, beaucoup à apprendre, son vécu en accéléré, durant ces 26 mois à la tête du Stade Rennais, devrait lui offrir la possibilité de rebondir très rapidement. À peine son bureau de la Piverdière vidé, une rencontre avec la famille Ratcliffe, propriétaire de l’OGC Nice via Ineos, était évoquée dans plusieurs médias.
L’homme a sans doute besoin de se régénérer quelque temps, au calme, dans cette discrétion qu’il a toujours affectionnée. Mais il serait étonnant de ne pas le retrouver sur un banc l’été prochain. Avec la valse des entraîneurs qui s’annonce, les cavalières disponibles pour une nouvelle danse seront nombreuses : l’Olympique Lyonnais, où Rudi Garcia n’est pas le coach rêvé de tous, Montpellier, où Michel Der Zakarian est en fin de contrat (et de cycle), Bordeaux ou Saint-Étienne, en plein marasme sportif. Jean-Louis Gasset et Claude Puel sont tous deux dans une position délicate. Et il y a donc Nice, où la place est officiellement à prendre.
L’étranger ? L’idée n’a rien de saugrenu, Julien Stéphan ne cachant pas son amour pour le foot pratiqué au-delà de nos frontières. On connaît son admiration pour les techniciens allemands, notamment.