L’année du Stade Rennais 2019 vus par les médias Rennais.

Il est l’heure de refermer la parenthèse enchantée vécue par le Stade Rennais dans sa propre existence au cours de douze mois faisant passer supporters, joueurs, staff et même journalistes par tous les états. Parce que le football va toujours plus vite, nous avons pris le temps, en compagnie de Mathieu Coureau (Chef des sports chez Ouest France) et Christophe Penven (Journaliste à TV Rennes) de nous poser, de contempler et de comprendre l’année vécue en 2019 avec les « Rouge et Noir », entre émotions et victoires. 

Fermez les yeux un instant et repensez à cette année civile qui s’achève. Quelle image vous revient spontanément en évoquant le Stade Rennais ?

Mathieu Coureau :Sans la moindre hésitation, c’est le but de Benjamin Bourigeaud face à Arsenal.  Ce soir-là, il s’est passé un truc complètement dingue que je n’avais jamais vécu auparavant. L’ambiance était incandescente, électrique, il y avait tout dans le scénario du match. J’ai toujours eu une certaine froideur et une distance par rapport à un match, mon métier veut cela, mais ce soir-là, j’ai été submergé comme tout le monde. Quand « Bourig’ » égalise, je me lève par reflexe, comme lorsque l’on remonte le genou suite au coup de marteau du docteur sur la rotule. Mon gamin de 10 ans était dans la tribune en face, là où les joueurs sont partis célébrer ce but. J’ai tout de suite pensé à lui, à ce qu’il pouvait ressentir et vivre et là, il y a eu une grosse émotion. L’autre image de l’année me vient aussi de cette soirée, à l’arrivée du bus. Je voulais saisir la concentration des joueurs, leurs expressions. J’aime le détail. Je les vois descendre un à un, les visages fermés puis arrive Hatem Ben Arfa… Il était totalement décontracté, souriant, plein d’une désinvolture et d’une envie rafraichissante avec un petit balluchon de pupille sur l’épaule. Cette soirée, au même titre que certaines étapes incroyables du tour de France que j’ai eu le bonheur de couvrir, restera marquée à vie dans ma mémoire et aussi dans mon cœur.

Christophe Penven :Evidemment, la coupe de France et les milliers de rennais heureux, fous de joie ou en larmes, au Stade de France comme le lendemain en ville. Ce succès, le peuple rennais l’attendait depuis si longtemps… Quand N’Kunku tire son pénalty, je suis en train de filmer tout autour de moi, je veux saisir les réactions. Je suis détaché émotionnellement et en dehors de la dramaturgie qui se joue. Je filme alors des regards, des sourires, des pleurs. Vincent Simonneaux à ce moment-là, c’est le supporter qui s’exprime. Il y a les émotions de Katell Lagrée, d’Arnaud Benchetrit. Quand je vois Vincent pleurer, ça me fait d’abord rire parce que je pense à l’excès, au supporter puis rapidement, je suis aussi ému car je constate l’impact de cette coupe sur chacun d’entre nous, de la tribune de presse au kop. Je ne suis pas supporter du Stade Rennais ou d’une équipe en particulier, mais j’ai un affect pour les « Rouge et Noir », bien sûr. Pour ce qui est du match d’Arsenal, c’était incroyable, vraiment. Je n’avais jamais vécu ça, on se fait forcément embarquer dans une soirée pareille !

Julien Bouguerra, pour Rennes Sport :Pour avoir été en bord de terrain ce soir-là, je confirme l’incroyable sensation vécue lors du but de Benjamin Bourigeaud face à Arsenal. Je suis en plein réglage photo quand le tir part mais la vibration ressentie dans le sol et le KO sonore qui s’en suit, à un petit mètre derrière et tout autour de moi, me paralyse quelques secondes. Le but, finalement, je ne le vois pas mais je peux dire que je le ressens ! Pour la photo, il n’y aura que « Bourig » de dos face à la tribune Super U… Jamais je n’avais ressenti un tel truc au Roazhon Park et peut-être même dans un stade tout court. Je me souviens aussi de Pierre-Emerick Aubameyang, au moment de repartir du Roazhon Park, me glissant que personne à Arsenal ne s’attendait à ça, qu’ils avaient vécu une soirée terrible et qu’il faudrait un très gros match à Londres… Arsenal quasi à terre face au Stade Rennais, incroyable ! L’autre image marquante à mes yeux, c’est la présentation et l’incroyable accueil réservé à Hatem Ben Arfa. Ce dimanche, nous avons conférence de presse à midi, du bonheur au moment de repas de famille puis le show HBA en mode rock star avant le coup d’envoi. Ce jour-là, Rennes posait la première pierre d’une année qui ne pouvait pas être comme les autres… 

Cette année est-elle la plus belle de l’histoire du club ?

M.C :Oui, sans hésitation possible. Je suis le Stade Rennais depuis quatre ans et tout au long de l’année, j’ai pensé aux collègues qui nous ont précédé et à ceux qui nous suivront, qui n’ont jamais eu le bonheur et n’auront peut-être plus la chance de vivre un tel truc ! Nous avons été très chanceux avec des matchs de coupe d’europe incroyables, une coupe de France remportée avec des exploits au passage comme à Lyon et un groupe que l’on sentait capable de renverser n’importe quel adversaire, qui est allé au bout de son histoire et de tout ce qu’il pouvait faire. Il y a aussi eu le Stade de France, enfin, synonyme de victoire et de bonheur. Difficile de vivre une plus belle année pour un club qui jusque-là, comme son public, s’est aussi construit dans la souffrance et les déceptions. 

C.P :Rennes termine seulement dixième du championnat ? On s’en fout, mais alors… Jamais dans son histoire, le club n’a vécu tant d’émotions en quelques mois, jamais les médias nationaux n’ont autant parlé du SRFC. Le public a montré ce qu’il sait faire, les victoires ont changé les mentalités dans le club et les regards autour. La légitimité du club dans une notion de haut niveau s’est affirmée et l’équipe n’était plus celle qui perdait à chaque fois à la fin mais celle qui gagne là où on ne l’attend pas. 2019 dépasse par son intensité, ses moments forts et ses résultats un simple trophée remporté dans l’anonymat. Non, cette coupe de France, c’était à Paris contre Paris. Cette année marquera l’histoire du club bien au-delà d’un trophée.

J.B :Sur une base froide et mathématique, considérant que le championnat est le « pain quotidien », Rennes est loin d’avoir réussi sa plus belle année en 2019 en terminant dixième. Tout ne fut pas toujours parfait et nous avons eu quelques matchs bien fades. Oui, mais… Le football, ce sont avant tout des histoires d’hommes, des émotions. Les incroyables tifos du RCK, l’ambiance générale positive et empreinte de bonheur dans les tribunes, les buts d’Adrien Hunou, passé de remplaçant à nouvelle idole d’un peuple, l’arrivée et le succès de Julien Stéphan, l’au-revoir à Romain Danzé le joueur, dans un hommage parfait et à la hauteur du garçon, l’imprévisibilité de Ben Arfa, tout cela a contribué à faire de 2019 l’année sinon la plus belle, du moins la plus intense, la plus folle et la plus importante du Stade Rennais. La coupe de France et l’Europa Ligue renforcent bien sûr ce sentiment, celui d’avoir gagné le respect de tous. Il restera quoi qu’il arrive de 2019 un trophée dans les vitrines et une trace indélébile dans les cœurs, que l’on soit rennais ou non. 

Quel a été le joueur de cette année si particulière ? 

C.P :Je pense immédiatement à Bourigeaud. Il incarne ce Stade Rennais dans son état d’esprit, fait d’humilité, de sincérité et d’implication. De plus, sportivement, il a été à mes yeux le plus régulier. J’aime aussi sa fraicheur au retour de Paris quand il publie une vidéo sur les réseaux sociaux où il rentre à une heure avancée de la nuit, bien joyeux et explique à sa femme qu’il était au marché… Dans le salon, Tomas Koubek et Adrien Hunou étaient là. J’aime cette fraicheur. Il y a aussi eu, évidemment, Hatem Ben Arfa. Il a indéniablement apporté quelque chose en plus cette année mais c’était impossible d’enchaîner avec une seconde saison ici. Ce fut un kif de l’avoir mais on le sait imprévisible, inconstant et parfois ingérable dans un groupe, à l’image de sa sortie en fin de saison sur le coaching. 

M.C :Je ressors le collectif, avant tout. La force du Stade Rennais en 2019 aura été son groupe, plus que tel ou tel joueur. Il y avait bien sûr le pied de Bourigeaud, les passes de Grenier, le volume de Bensebaïni ou le génie de Ben Arfa. Tout cela assemblé a permis des matchs et des scénarios fous, des résultats inespérés et pourtant vaillamment obtenus, comme la victoire en demi-finale de la coupe de France à Lyon, incroyable de symboles. N’oublions pas non plus l’apparition et l’éclosion d’Eduardo Camavinga, qui s’il n’a pas connu les grandes victoires de 2019, impressionne semaine après semaine. C’est exceptionnel de s’imposer à son âge dans l’élite, face à des hommes « construits physiquement ». Julien Stéphan rappelait justement que sa croissance n’était pas achevée, qu’il ne faut pas aller trop vite. Pour autant, je suis convaincu que nous avons assisté à la naissance d’un vrai crack ! 

J.B :Plusieurs joueurs peuvent en effet symboliser le bon et le moins bon du Stade Rennais, au sein d’une équipe assez irrégulière mais dont les sourires dominent au moment du bilan. Hatem Ben Arfa symbolisait parfaitement l’irrégularité plus que l’état d’esprit qui a animé l’équipe tout au long de la saison. Parfois à côté, parfois génial. Mexer est un beau symbole en revanche. Jamais un mot plus haut que l’autre, une dernière année de contrat et la tentation de ne penser qu’à lui mais pourtant, il marque le but de l’égalisation en finale et réussit une saison en tous points remarquable. Il est parti la tête haute, dans le ciel du Stade de France mais aussi de Bretagne. La fin de carrière de Romain Danzé reste également un moment fort, même si le numéro 29 rennais n’aura pas pu jouer une dernière fois au Roazhon Park. Son émotion à Paris, puis à la maison, lors du dernier match, ont marqué les esprits. On peut bien ajouter M’Baye Niang, retrouvé sous Julien Stéphan qui n’a pas hésité à me comparer lors d’un entretien Julien Stéphan à Massimo Allegri. Rien que cela !

Le coach, justement, est-il toujours l’homme de la situation ? 

M.C :Oui, laissons du temps. Je suis convaincu par son intelligence, ses analyses tactiques, son intellectualisation du poste, ses qualités oratoires au-dessus de la moyenne. C’est un jeune chez les professionnels, l’expérience ne s’achète pas mais je suis persuadé que nous riderons avec Julien Stéphan dans le paysage et c’est assez réjouissant.

C.P :Sur la deuxième partie de l’année, c’est plus compliqué et cela permet à Julien Stéphan d’apprendre sans doute encore plus vite. Pour ses débuts, il a eu beaucoup de bonheur, de réussite aussi avec une coupe de France, chose que personne n’avait réussie depuis plus de 40 ans. Je suis admiratif des compétences de ce jeune garçon, sa capacité à assimiler et avancer rapidement. A mes yeux, on s’en rendra peut-être compte plus tard, mais nous avons sur le banc du Stade Rennais un futur grand entraîneur.

J.B :La dictature du résultat fait que l’on menace ou remet en cause un coach après un mois de résultats difficiles ou contrariants, occultant qu’il faut parfois des années pour des victoires convaincantes lorsque l’on n’est pas le PSG, Barcelone ou le Bayern Munich. Après Christian Gourcuff et Sabri Lamouchi, je pense que le Stade Rennais doit accepter les passages plus compliqués comme celui de cet automne et en ressortir grandi. Le goût de la victoire est encore sur toutes les lèvres mais le football va vite et une autre histoire est déjà en cours d’écriture. Julien Stéphan apprend sans doute beaucoup plus aujourd’hui qu’en avril dernier mais n’en ressortira que plus fort. Le début de carrière, avec des victoires, donne le ton mais le plus compliqué a déjà commencé pour lui, à savoir confirmer et faire mieux, toujours et encore. Ce qui a été réalisé est déjà exceptionnel et personne ne doit désormais oublier d’où vient le club, ce qu’il a vécu pendant des décennies, ni le bonheur d’être aujourd’hui parmi ceux qui comptent et qui, logiquement, engendrent des exigences. Reste à régler le curseur.

Le public rennais est-il entré dans le top 5 français ?

M.C :Je n’aime pas faire de classement ou de podium. Ce qui est certain, en revanche, c’est que ce public est à part, authentique, il véhicule des choses qu’on ne trouve pas à Lens, à Marseille ou à Saint-Etienne. Nous parlons de supporters qui étaient en souffrance, depuis de longues années et qui ont, cette fois-ci, pu gagner, savourer, partager. C’est un public qui offre une image positive, chaleureuse, constituée de sensibilités et de beaucoup d’humanisme, comme l’a montré le documentaire d’Antoine Biard, avec pour terreau, la souffrance due à des années compliquées. Si on regarde une tribune de loin, façon Bobo, on voit une masse, lointaine mais en allant à sa rencontre, on réalise que ce petit monde fourmille de créativité, de courage, de générosité, avec des influences culturelles, télévisuelles ou musicales. J’aime l’intelligence et la culture, la créativité des supporters rennais. Les Tifos proposés, des déplacements parfaitement orchestrés sans incident, ce qui est à signaler de nos jours, il fait honneur à ses couleurs. Ne classons pas untel ou untel et faisons comme avec un bon thé, laissons infuser et savourons, en nous laissant porter. Ce public offre quelque chose d’unique. 

C.P : Les fans du Stade Rennais ont tellement souffert, été moqués… J’ai adoré, à Glasgow, où ils étaient encore venus en nombre, ces « Olé» descendus des tribunes pour chambrer gentiment l’équipe, menée 3-0 et tourner en autodérision la campagne européenne et qui, finalement, aboutissent à un but d’Adrien Hunou ! Parfois, ils me font marrer et ça fait du bien ! L’esprit est bon enfant. Leur boulot, tout au long de la saison, a été incroyable et salué de tous. Dans le contexte sécuritaire très compliqué que nous vivons aujourd’hui, c’est énorme.  La coupe est avant tout pour eux, récompense un peuple « Rouge et Noir » attachant, qui a toujours été là. Si l’année 2019 restera dans les annales, c’est aussi grâce à eux !

J.B :Créativité, sympathie, encouragement, passion pour aller supporter son équipe jusqu’à Astana… Ces mots me viennent en premier. Sécurité, également. Dans certains stades en France, lors de matchs importants ou de derby, vous entrez par une porte dérobée pour faire votre travail ou en traversant un cordon de 400 CRS. A Rennes, jamais je n’ai vu d’hélicoptère tourner au-dessus du stade en mode « Guerre Civile ». Ici, le foot, c’est la fête, c’est un moment de partage où l’on préfère gagner mais où on rigolera tout de même un peu une fois passées les premières gorgées amères de la défaite. Et cela fait du bien… Rien que pour ça, une coupe de France et les matchs du Bétis et d’Arsenal étaient amplement mérités. Le défi pour lui désormais, garder cette authenticité et ce sourire qui dénote dans un milieu de plus en plus sombre… 

2019 s’achève mais la saison continue. Cette équipe peut-elle encore nous réserver quelques surprises pour le printemps ?

M.C :L’équipe est à ce jour sur un « copié-collé » ou presque, comptablement, de la saison passée en championnat mais déjà éliminée en Europa Ligue, quand celle-ci avait été je pense un moteur la saison passée. Ce sera peut-être plus difficile cette année mais nous sommes imprimés par le contexte du moment. Méfiance, en foot, tout peut aller très vite.

C.P :L’an passé, le SRFC a réussi une saison exceptionnelle avec un groupe construit depuis plusieurs saisons. Cette année, le club est reparti sur une nouvelle équipe. Il faut laisser du temps, même si dans le foot d’aujourd’hui, c’est rare. Je suis pour le moment sur la retenue sans être pessimiste. Laissons du temps à cette équipe, aux nouveaux d’écrire leur histoire. Dans ce championnat, tout est possible.

J.B :Un championnat où le SCO Angers parvient, avec ses valeurs de patience et de construction dans le temps, à passer de nombreuses semaines dans le top 5 peut effrayer mais aussi convaincre qu’un groupe et un projet ne doivent pas dépendre uniquement des résultats instantanés. C’est aussi un exemple qui montre que l’argent ne fait pas tout et qu’un budget ne fait pas un classement, à condition d’avoir des idées. Et ça, Julien Stéphan semble ne pas en manquer ! Toulouse a changé d’entraîneur récemment pour le résultat que l’on sait. Pas largué en championnat, le Stade Rennais a encore toutes ses chances d’accrocher un top 5 s’il gagne en régularité, et ce plus dans les contenus des matchs produits que dans les résultats bruts. Si l’on ne connaîtra probablement pas les mêmes moments qu’au printemps dernier, le prochain a encore les arguments pour entretenir une flamme qui ne demande qu’à repartir de plus belle !

Recueilli par Julien Bouguerra et Matthieu Giboire