Mesdames et Messieurs, place aux Imprévisibles !

Non, il ne s’agit pas du dernier Marvel ou du nouveau surnom de l’équipe de France de handball, qui pourrait pourtant le revendiquer après la claque reçue au Portugal ! Non, les Imprévisibles, ce sont nos « Rouge et Noir », auteurs d’une saison totalement rocambolesque, faite de bas, de très bas, puis de sommets et d’ivresse ! De l’adrénaline, des sensations dignes des montagnes russes, avec en point d’orgue une finale hitchcockienne remportée aux tirs aux buts face au PSG : ce stade rennais fut IN-CRO-YABLE !

Il y eut la fameuse pointe de vitesse de Kylian Mbappé lors de la dernière coupe du monde au milieu d’Argentins médusés et dépassés. Poubelle ! Désormais, la référence du genre est décernée à Tomas Koubek dans le rôle du sprinteur, lancé « comme un frelon » vers le virage rennais du Stade de France. Dans le même temps, le tir au but de Christopher N’Kunku n’est pas encore retombé et aurait été localisé il y a quelques heures du côté de la Marne… Les rythmes cardiaques et cœurs rennais, eux-aussi, se sont envolés haut, très haut dans le ciel de la nuit parisienne. Sourires, cris, chants et larmes de bonheur, le peuple rouge, qui a retrouvé la fierté de pouvoir regarder le foot français droit dans les yeux. Cette nuit, c’est tout Rennes qui n’est pas près de l’oublier et semble, près de quinze jours plus tard, toujours en lévitation !

Le cœur plus fort que le talent !

Cette finale n’avait pourtant pas démarrée sous les meilleurs auspices, sur un fond de samba vouée à briser les oreilles et les cœurs. La volée sublime d’Alves puis le piqué sublime de Neymar face à Koubek, semblaient avoir plié l’affaire avant même que le combat n’ait commencé. La terrible frustration pour les 40 000 rennais ultra-bruyants commençait à poindre puis, comme par magie, à partir de la 35’ –comme un symbole- le Stade Rennais démarre son match. Sur son banc, Julien Stéphan avait déjà tout compris… Mbaye Niang toucha du bois avant qu’Hamari Traoré ne contraigne le frère jumeau du champion du monde Kimpembé à marquer contre son camp. Le scénario est en marche, le PSG s’étiole, incapable de mettre le minimum d’investissement et d’humilité face à la détermination et la solidarité bretonne. La causerie décrite par Clément Grenier chez nos confrères de Ouest France en atteste, les mots choisis par Stéphan étaient les bons. On connait la suite ! Mexer de la tête, fait chavirer les supporters rennais, tout comme Koubek décisif et efficace face à l’armada parisienne. La tentative d’Hatem Ben Arfa frise la lucarne durant la prolongation avant le pétage de plomb de Kylian M’Bappé, décidemment pas dans ses crampons face aux Rennais (deuxième expulsion, ndlr). Le genou et la cheville de Damien Da Silva ont eu chaud, mais pas autant que le peuple rennais à l’orée des tirs aux buts. Insoutenable, irrespirable, cette séance ceux-ci tourne en faveur de Bretons incroyables de sang-froid et de maîtrise. Coup de canon de N’Kunku dans les étoiles et c’est parti pour une incroyable fête qui voit tour à tour Julien Stéphan sprinter sur la pelouse du Stade de France, François Pinault père, invité par les joueurs, monter sur le podium lors de la remise de la coupe et Benjamin André inviter son capitaine Romain Danzé, dont il a pris le relais, à brandir la coupe. Les histoires, ensuite, se multiplient dans un après-match incroyable : Neymar invectivé, qui craque bêtement, Edinson Cavani, le regard perdu, qui semble déjà parti loin de la capitale, Hatem Ben Arfa d’abord en pleurs, puis rancunier, réglant ses comptes avec son ancien employeur ou encore le coach dansant tout habillé dans la piscine des vestiaires. Le lendemain ? Fête version XXL ! Esplanade Charles De Gaulle, mairie, réception, communion avec un peuple « rouge et noir » au rendez-vous, cela valait le coup d’attendre. La pluie ? Une identité, une amie qui est là dans les bons comme les mauvais moments, bien loin de refroidir les ardeurs !  Du kiffe, à l’état pur, tout simplement ! Cette fois-ci, non, la fête du foot n’était pas à Paris, à Lyon, Saint-Etienne ou Marseille. Non, messieurs dames, elle était dans la capitale bretonne, devenue l’espace de quelques jours, capitale du football hexagonal et entrée pour de bon dans l’estime et la bienveillance des fans de foot de tous horizons, au-delà des frontières. Dave Appadoo, journaliste à France Football, déclarait ainsi récemment sur L’Equipe TV : « Qui aurait cru, cette année, que la seule équipe à faire vibrer la France en coupe d’Europe, serait Rennes ? » Qui, en effet ? Peu importe, mais le résultat est là, retentissant !

Et maintenant ?

48 ans après, les Rennais ont réouvert l’armoire à trophée. Celui-ci figure déjà en bonne place, en qualité de première relique de l’ère moderne du foot business, qui laisse si peu de places aux aventures sportives, à l’homme… La suffisance et les millions parisiens n’auront pas eu raison de la fougue bretonne. Epiphénomène ou inspiration à suivre pour la suite ? L’avenir le dira mais cette cassure inattendue dans les habitudes du palmarès du foot français doit donner idées et fil conducteur pour construire les fondations du grand Stade Rennais de demain. Celui-ci a prouvé, cette saison, qu’il des arguments pour s’inviter régulièrement à la table des grands. En Europa Ligue, les Rennais ont dominé Arsenal et le Bétis,  même si le match retour à Londres laissera des regrets éternels. En coupe de France, l’équipe a sorti le trio de tête du championnat, excusez du peu, après avoir pourtant frisé la correctionnelle contre Brest en janvier. Les plus belles épopées naissent souvent de débuts laborieux… En championnat, enfin, les joueurs de Julien Stéphan furent capables de coups, comme la victoire à Lyon ou celle, probante, contre Saint-Etienne mais la régularité fit défaut. Le constat est là : sous Sabri Lamouchi, l’équipe s’est rapidement égarée, perdant de sa superbe mais aussi, balbutiant son football. La ligne était coupée entre un technicien pourtant adulé quelques mois plutôt et l’histoire tourna court… La prudence reste donc de mise, en dépit de la douce euphorie ambiante, si rafraichissante. L’ère Stéphan a quelque chose de différent. S’il y eut bien quelques loupés sur les pelouses de L1, l’ensemble est ultra cohérent, le discours convaincant, les idées nombreuses, le tout dans un emballage impeccable.  Le retour au premier plan de plusieurs joueurs comme Mexer, Ben Arfa, Niang, Bourigeaud voire l’explosion de Damien Da Silva sont évidemment liés à la relation personnelle entretenue avec un coach qui, s’il donne sa confiance, sait aussi exiger de ses garçons une réciprocité jusqu’ici reçue, au-delà même des espérances. S’il sait aussi trouver les solutions tactiquement à de nombreuses problématiques, le coach rennais excelle dans le rapport humain, maniant pour le moment à la perfection le va-et-vient entre exigence et proximité. Un très grand technicien se révèle, bien plus qu’il ne voit le jour. La médiatisation et sa lumière pernicieuse ne sont pas gages absolus de réussite, et parfois ennemis de la parcimonie et de la justesse dans les choix, le jugement. Ça, Julien Stéphan l’a parfaitement compris, et son groupe avec lui. Si le chemin parcouru est épatant, celui restant à accomplir demeure long et sinueux.  

Retrouvailles à Shenzhen le 3 août

Cela passera aussi par la Ligue 1, en dépit des avis pensant que la saison est d’ores et déjà réussie.  Pour cela, l’équipe veut retrouver un rang plus conforme aux espérances initiales. Que l’on ne s’y trompe pas : même si le Stade Rennais a enfin remporté un trophée tant attendu, le président Olivier Létang ne se satisfera pas d’une place en seconde partie de tableau. Pas le genre de la maison, non, et on ne peut que l’en féliciter ! Place, désormais, à un objectif au classement entre six et dix, toujours accessible à condition de ne plus laisser filer de points. Le budget de l’an prochain dépend de cette position finale mais aussi, l’image d’une saison où les émotions fortes ont pris le pas sur la régularité, où plusieurs prestations de haut vol ne doivent pas totalement masquer des moments plus difficiles, tout aussi riches d’enseignements pour la suite. L’an prochain, la saison démarrera le 3 août par un long déplacement en Chine, à Shenzhen pour retrouver le PSG et disputer le premier trophée des champions de l’histoire du club. Ensuite, il y aura le championnat et les poules d’Europa Ligue, pour la seconde saison consécutive. Une performance, une vraie, avec un public désormais respecté et regardé avec envie parfois ailleurs en France. Ces bonheurs, ces moments, ils sont aussi au Peuple rouge et noir !  L’effectif, lui, devrait évoluer, comme chez tout challenger ayant dépassé les espoirs les plus secrets. Hatem Ben Arfa sera au centre de nombreuses discussions, Mbaye Niang, prêté et auteur d’une très belle seconde partie de saison, est désiré au club, tandis que Mexer et Mehdi Zeffane sont en fin de contrat et Ismaïla Sarr courtisé (lire page 10). Les rumeurs ne vont pas manquer et ce, dès aujourd’hui. 

Le poker menteur, ou le jeu d’échec, au choix, s’annonce passionnant. Le stratège Julien Stéphan s’avancera dans la partie la plus compliquée qui soit à mener, qui plus est à Rennes, la confirmation ! Loin d’être fou, aujourd’hui Roi, celui qui fut longtemps l’un des plus fidèles cavaliers de la formation rennaise doit mener sa « Rennes » au pays de la constance et de la régularité ! Avec, pour exemple de réussite, l’abnégation, la solidarité et le mental affichés ce 27 avril historique, qui loin d’être un aboutissement, devient la borne de départ d’une nouvelle ère rennaise. MERCI, les Imprévisibles !

Julien Bouguerra