Pour « survivre » à la folie des après-matches de Géniaux, il faut du caractère, de l’endurance, de l’humour…et un sens prononcé de l’autodérision. Entre un président qu’il considère parfois « comme un petit frère », tant il le fait rire et des partenaires qui font tout leur possible pour le déstabiliser pendant l’interview, Iann Jacqua-Boror n’a pas tremblé, livrant une histoire mêlant force, émotion et courage : la sienne.
Il est l’un des derniers à sortir des vestiaires. Les yeux encore rougis par la douche, Iann Jacqua-Boror, 27 ans, est à Géniaux chez lui, serein : « Je suis arrivé ici il y a trois ans grâce à Thomas Ruellan, que j’avais côtoyé à Angers. Il m’avait prévenu que ce ne serait pas simple mais Franck Prouff a accepté de m’offrir un essai. A l’issue de celui-ci, il m’a dit il y a du boulot mais si tu es prêt à travailler dur, on y va ! ». Et coach comme joueur y sont allés !
Né en Martinique, où il vit jusqu’à ses 21 ans, son histoire n’est pas la plus simple qui soit et en aurait mis plus d’un au tapis. Pas lui : « Je suis le troisième enfant d’une famille de quatre mais mon histoire est très compliquée. J’ai été abandonné par ma mère et été adopté par ma grand-mère maternelle, devenue ma maman. Mon père n’était pas là et ne l’a jamais été, même si j’ai pu le rencontrer et le côtoyer une fois adulte. Beaucoup penseront que c’est une histoire triste mais c’est faux car ma grand-mère a tout fait pour que ma vie soit belle et c’est le cas. Cette histoire a aussi forgé tout ce que je suis. » Sa maman, le fil rouge de sa vie, son repère, sa fierté et aussi celle qui vécut à ses côtés une enfance puis une adolescence agitées : « J’ai été sage jusqu’à 14 ans. J’étais le seul avec ma grand-mère, les trois autres étaient avec ma mère. Pourquoi ? Je ne l’ai jamais su. Je me suis posé beaucoup de questions… Cette période a coïncidé avec l’époque où j’ai fait beaucoup de bêtises. Quelles bêtises ? Des conneries… Je n’ai jamais été violent ou fait de choses graves, mais des petits délits… C’est une période de ma vie où avec ce j’avais déjà vécu, rien ne comptait vraiment, si ce n’est ma maman. Heureusement, elle m’a soutenu, m’a aidé. Elle m’expliquait les choses, me disait que nous n’avions pas les réponses à mes questions mais d’avancer malgré cela. En l’écoutant, je me suis calmé. »
Pendant ce temps-là, Iann trouve dans le hand un exutoire qui lui permet de grandir. Il débute à 13 ans avec la petite balle après s’être essayé au foot, une passion pour lui. Sur les parquets, Iann démarre arrière-gauche puis à son arrivée au Pôle de Martinique, est replacé pivot, en raison de son gabarit. Les années défilent, quelques bêtises aussi puis un nouvel événement bouscule la vie du jeune homme : « A 18 ans, ma cousine, Deborah m’annonce qu’elle va être maman et me demande d’être le parrain de son petit. Je choisis même son prénom… Ce sera Kenaël. J’en ai eu les larmes aux yeux, cela a été un vrai changement dans ma vie. J’ai arrêté les conneries et j’ai ressenti une vraie responsabilité. » A cet événement vient s’ajouter un pas définitif vers la religion : « J’étais croyant mais je n’avais jamais voulu aller au cathé. Là, j’ai aussi franchi le pas, pour le petit, et j’ai fait ma communion avec des petits de neuf ou dix ans, c’était génial ! Grâce à cela, j’arrive désormais à prendre sur moi, je vois les choses positivement. ».
Les choses s’enchaînent ensuite. Elu meilleur pivot de Martinique, Iann Jacqua-Boror attise les convoitises et les copains multiplient les appels du pied. La Roche se positionne mais Iann repousse le départ, ne voulant pas laisser sa maman seule. Pas encore prêt pour le grand saut, il repasse son Bac manqué suite à un échange compliqué avec son père : « J’ai eu une discussion avec lui, je lui ai demandé que s’est-il passé ? J’ai voulu savoir… Il m’a regardé, n’a pas su me répondre et m’a dit de ne pas y penser. Aujourd’hui, je n’ai plus de lien avec lui. Il m’a annoncé son départ en métropole la veille de mon BAC, alors que j’étais très bon à l’école et que je m’étais un peu rapproché de lui. J’ai loupé l’examen. Dans cette période-là, ma grand-mère pensait que je m’éloignais d’elle pour être avec lui mais non, je cherchais simplement des réponses. Depuis, j’ai arrêté ! »
Plafonnant sur les terrains de handball en Martinique à l’US Citron, où il ne peut guère viser plus haut, le numéro 97 cercliste est poussé par ses potes à franchir le cap de la métropole et pourquoi pas, rêver à une carrière pro : « Franchement, je ne voulais pas venir en France plus que cela mais mes amis m’ont dit que cette découverte me ferait grandir, me permettrait de vivre un truc immense. J’y suis allé, une fois le BAC Pro en poche. J’ai parlé avec maman, elle m’a dit va-t’en. J’ai pleuré. Elle m’a dit que le handball était ce que j’aimais le plus. J’y suis donc allé. » Après une première année en N3 avec la Roche, le pivot rejoint Angers. Là-bas, il s’entraîne avec la D2 mais n’y dispute qu’un seul match. Entre-temps, il découvre les joies de la bêtise humaine version métropole. Le racisme, les clichés, Iann les a croisés. Sans tabou, il livre une anecdote sidérante: « J’allais faire mon passeport à Angers. A l’accueil, on me demande mes empruntes. J’ai posé mon doigt… ça ne passait pas. Je recommence…puis la dame me dit laissez-moi voir votre main. Et là elle me dit « ah vous avez l’intérieur des mains blanches ? ». Bon, là, forcément… Je ne me suis pas mis en colère, je suis resté calme mais j’ai demandé à poursuivre mes démarches avec quelqu’un d’autre. C’était d’une bêtise absolue. Sa collègue m’a demandé ensuite si j’avais mis de la crème, j’ai dit oui et c’était la cause de cette emprunte qui ne passe pas… Pour le cliché du Martiniquais toujours en retard, croyez-moi, j’en ai surpris plus d’un, je suis toujours à l’heure, investi et sérieux. ». Evoluant en N3, il apprend néanmoins beaucoup et choisit de poursuivre sa route à Bouguenais, en quête de temps de jeu. Pas encore suffisant. Vient ensuite le CPB en 2015, avec la suite que l’on sait. Quand il évoque le maillot vert, Iann Jacqua-Boror a les yeux qui pétillent : « Le CPB, ce n’est évidemment pas que le hand ! A la fin de l’essai, je me rappelle que Franck Roussel appelle le coach qui lui demande ce que cela donne… Et Franck lui dit que si je le veux, j’ai rendez-vous avec un patron deux jours plus tard… C’est ça Franck Roussel ! En moins d’une semaine, il m’a obtenu trois rendez-vous ! Le club ne m’a jamais laissé sur la touche, ils ont toujours tout fait dans le cadre du double projet. J’ai aussi pu avoir un appartement en colocation. Aujourd’hui, j’ai pu trouver un travail pour transporter les colis avec la Poste. Ca me plait bien, les patrons sont contents de moi donc j’espère m’inscrire dans la durée. Ici, le coach, c’est comme un grand frère. Il a su me parler aux moments où il le fallait, me secouer quand c’était nécessaire. Il sait comment faire avec moi. Franck Roussel, lui c’est un petit frère qui fait beaucoup de bêtises ! Non, plus sérieusement, c’est un Monsieur, d’une générosité incroyable. Il sait être présent pour ses joueurs et c’est important pour nous tous. »
Dans sa vie d’homme, Iann vit aussi un événement majeur il y a un an : « Je suis papa mais séparé de la maman, qui vit à La Roche-sur-Yon. Heureusement, avec Sandra, la maman de Saïna, je suis en bons termes, ce qui permet de s’organiser. Je fais tous les week-ends, dès que mon emploi du temps le permet, le trajet pour aller la voir, même pour une seule journée. L’aller est rapide mais j’avoue que le retour le dimanche soir sur Rennes est très compliqué… » A son retour pourtant, surprise, Iann n’est jamais seul : maman est dans la place : « Après cinq ans et demi sans être rentré aux Antilles, ma cousine se marie et a un deuxième garçon. J’étais obligé de rentrer, j’étais à nouveau parrain mais cette fois, j’ai dit à maman que je ne repartirais pas sans elle. Henriette est donc repartie avec moi ! Désormais elle vit avec moi ici ! Elle est très contente s’y sent bien. Elle est arrivée en janvier. En revanche, il y a encore des réglages à faire avec le temps : un jour où il y avait du soleil, elle est descendue en marcel et est remontée aussitôt ! ». Celle-ci, à défaut de dompter le climat breton, a découvert son petit sur les terrains : « En Martinique, elle n’était jamais venue me voir jouer, elle avait peur qu’on me fasse mal ! Il a fallu qu’elle fasse 8000 kms pour venir. C’était contre Amiens. A la fin je lui ai fait un discours devant tout le monde, j’ai pris le micro et je lui ai dit que sans elle je n’aurais rien été, qu’elle est tout pour moi. Je garde souvent mes sentiments mais pas avec elle. Elle est ma mère et est tout pour moi, et je me devais de me mettre debout devant elle et de lui dire que je l’aime. »
Julien Bouguerra