Originaire de Bédée, François Letexier est arbitre de Ligue 1 depuis cinq ans. Celui qui est devenu papa début mars officie pour la Ligue de Bretagne, avec le club de Bédée-Pleumeleuc. Il nous a généreusement accordé trois longues heures pour évoquer son parcours, son quotidien mais aussi sa vision du jeu et de l’arbitrage. Entretien rare et passionnant qui, espérons-le, permettra à certains de prendre un peu de hauteur et de comprendre un peu mieux un métier pas comme les autres.
Que se passe-t-il à la mi-temps d’un match dans votre vestiaire ? Rigolez-vous un peu entre vous ?
Vous savez, j’ai mes habitudes ! À la pause, il y a d’abord cinq minutes de repos et de silence total, où chacun décompresse, récupère. Ensuite, pendant cinq minutes, nous débriefons notre première mi-temps. Sur les cinq minutes restantes, on se remet en route physiquement, on se réchauffe. On n’a pas vraiment le temps de plaisanter, la concentration reste de mise. Nous nous détendons une fois le match terminé, sur le chemin du retour.
Avez-vous reçu des visites dans votre vestiaire ? Y a-t-il eu des tentatives d’intimidation ?
Pour ce qui est des visites, à la mi-temps, je l’exclus totalement. Si visite il y a, c’est à la fin du match. Cela arrive, bien sûr. Il peut y avoir des réclamations. Des joueurs qui ont été expulsés viennent pour s’excuser, pensant que la sanction sera moins lourde. Ils se trompent, néanmoins, car ce n’est pas moi qui décide des matches de suspension éventuels mais la commission de discipline, qui se saisit au regard des éléments écrits dans notre rapport. Quand un joueur vient s’excuser, je le mentionne mais cela ne changera rien à ce qui lui a valu d’être expulsé. J’apprécie simplement la démarche, qu’elle soit sincère ou non. Cela m’est également arrivé d’avoir des joueurs ou des entraîneurs venant dans mon vestiaire dans un but constructif, pour comprendre une décision. Généralement, je garde une distance, dans le respect de la fonction de chacun. À l’inverse, j’ai eu des poignées de main d’entraîneurs qui n’en finissaient pas, très fermes, pour m’impressionner. J’avais même demandé à un coach de me lâcher la main… C’était à mes débuts. Il y a par ailleurs des stades, des endroits en France qui vous vaccinent pour la suite de votre carrière. Après avoir vécu certaines ambiances, vous pouvez aller partout ! Je sais que lors de mes premiers matches en Ligue 1, mon jeune âge avait incité des joueurs à me mettre un peu sous pression. C’est ainsi, c’est le jeu, mais je n’ai jamais eu à faire face à des agressions verbales ou physiques. Heureusement.
« Croire que l’arbitrage vit dans sa bulle, sans faire cas des autres acteurs du jeu, est une erreur»
Il y a un petit jeu, également, entre les arbitres et les joueurs pendant les matches. Les cartons rapides et les simulations, c’est parfois la commedia dell’arte !
Oui, c’est vrai, le nier serait mentir. Cela fait partie de notre mission que de pouvoir identifier les joueurs clés dans une rencontre, dont ceux qui peuvent par leur comportement augmenter la tension de la rencontre. Il y a en outre les simulations. Récemment, lors d’une réunion dans un club, un joueur m’a avoué qu’il avait simulé pour obtenir un bon coup franc, ce qui est aussi le jeu, avec sa dose de vice. Et sur cette situation, il avait obtenu ce qu’il recherchait. C’était son objectif. On m’a aussi demandé pourquoi la faute était souvent sifflée contre l’attaquant lorsque le ballon est gardé au poteau de corner, pour jouer la montre. C’est simple : c’est une forme d’antijeu, tout simplement. Le football n’a pas vocation à se jouer autour d’un poteau de corner. Laisser la situation perdurer, c’est prendre le risque d’une échauffourée et d’un problème bien plus grand à résoudre. La relation arbitre-joueur, c’est également cela : chacun ses objectifs.
Faudrait-il éduquer les joueurs au règlement ?
Il faut savoir que chaque année, en début de saison, la DTA propose aux clubs une session pour expliquer les lois du jeu, ainsi que des rencontres pour échanger, se comprendre mutuellement. Malheureusement, une majorité des clubs n’y donne pas suite ou seulement quand ils y ont un intérêt… Croire que l’arbitrage vit dans sa bulle, sans faire cas des autres acteurs du jeu, est une erreur. Les mains sont tendues et les échanges, quand ils ont lieu, sont toujours passionnants.
Et avec la presse ? Pourquoi les arbitres ne sont-ils pas autorisés à venir parler après un match ? Craignez-vous d’être sur le banc des accusés si vous venez en zone mixte ?
C’est la FFF qui a décidé cela. Aujourd’hui, dans d’autres pays, les arbitres s’expriment devant la presse quand cela est nécessaire ou demandé. Ici, je pense que la Fédération veut surtout nous protéger. Elle craint sans doute que ces échanges ne deviennent une sorte de procès, avec des questions à répétition sur nos décisions, à charge. Nous devons nous en tenir aux règles de la Fédération sur le sujet.
Et le fameux débat concernant le son sur le terrain ? Serait-ce la solution ?
Nous avons évidemment connaissance de ce qui se fait dans le rugby. Nous essayons de nous inspirer de tout ce qui peut favoriser les bonnes décisions. La question du son sur le terrain renvoie à une interrogation : s’agit-il d’éradiquer les insultes ou propos injurieux ou s’agit-il d’entendre la communication de l’arbitre et ses explications ? Ce sont deux choses différentes. Pour le premier aspect, il faudrait dans ce cas équiper chaque joueur d’un micro. Cela demande une mise en place complexe, avec autant de canaux à contrôler qu’il y a de joueurs et d’arbitres sur le terrain. Pour la seconde option, cela pourrait permettre d’humaniser notre rôle et de favoriser la compréhension de nos décisions. De notre côté, tous nos propos sont déjà enregistrés et vérifiables, même s’ils ne le sont pas du grand public.
« Il n’y a pas que les aspects difficiles et compliqués, il y a aussi énormément de bons moments, très épanouissants »
Être arbitre, cela consiste en quoi, durant la semaine ?
Aujourd’hui, l’arbitrage occupe la majeure partie de ma semaine. Nous avons une indemnité fixe et une indemnité de préparation. Aussi, nous pouvons vivre de l’arbitrage. Il y a deux heures d’entraînement quotidien, avec une exigence physique totale, obligatoire pour durer. La préparation physique tourne autour de l’activité d’un sprinteur et d’un coureur de fond. Il y a des fractionnés sur du 7-7, du 15-15. J’essaie d’être prêt pour les situations de match. Il y a aussi les déplacements, qui prennent du temps puisque nous arrivons un jour avant le match et repartons souvent le lendemain. Enfin, il y a la préparation des rencontres, les réunions et les stages à Clairefontaine ou encore les analyses vidéo des matches disputés et de ceux des équipes à venir. Un arbitre prépare ses matches, il doit connaître les joueurs, leurs noms, leurs spécificités. Anticiper et connaître les acteurs permet d’être plus efficace dans la demi-seconde où il faut prendre une décision. L’activité parallèle que je mène, celle d’huissier de justice, me prend un à deux jours par semaine. Le programme est bien chargé !
Pourquoi avoir choisi ces métiers, huissier et arbitre ? Cultivez-vous un certain goût pour la justice ?
J’ai toujours eu envie d’être respectueux des règles mais aussi d’être garant de leur respect, en quelque sorte. Cela m’a structuré, ça m’a permis de prendre confiance en moi au fil des années et ce, dès l’adolescence. Être capable d’asseoir son autorité vient avec le temps, il ne faut pas se poser 10 000 questions mais avancer, maîtriser son sujet. Et puis croyez-moi : il n’y a pas que les aspects difficiles et compliqués, il y a aussi énormément de bons moments, très épanouissants. Concernant l’arbitrage, enfin, ce qui m’a poussé à continuer après mes débuts, ado, c’est tout simplement mon plaisir et mon amour du sport. J’adore le sport et j’aimais ces responsabilités. L’arbitrage est ainsi devenu une manière d’allier les deux.
Peut-on, malgré la fonction, avoir des amis dans le foot ?
Dans le foot pro, non, je m’interdis d’aller au-delà du rapport strictement professionnel, de par ma fonction et de par ma vision des choses. Je cloisonne ma vie privée, il y a ma sphère amicale et la sphère professionnelle. Avec tout l’argent qui y circule, ce milieu devient de plus en plus inhumain. Mais dans le foot d’hier, celui de mon adolescence sur les terrains d’Ille-et-Vilaine, une personne a beaucoup compté : Roger Blin. Mes parents tenaient un restaurant à Bédée. Ils n’avaient pas forcément le temps de m’emmener au match. Roger m’a trimballé partout, en faisant des milliers de kilomètres. Ce sont les bénévoles comme lui qui font aussi le foot, celui pour lequel on vibre. Je lui dois toute ma carrière et la belle vie que je peux vivre aujourd’hui. Je le remercie encore pour cela.
Hors football, que représente la Bretagne à vos yeux ?
C’est chez moi, tout simplement. Je la porte dans mon cœur, au quotidien. Je suis fier d’être breton, d’appartenir à cette magnifique région et je me retrouve dans la description qui nous présente comme des gens têtus mais conviviaux et hospitaliers. Je réside aujourd’hui à Rennes et j’aimerais pouvoir rendre plus souvent visite à mon club, à Bédée. Faute de temps, je ne peux pas le faire souvent mais le cœur y est. Le foot, c’est aussi et surtout eux, tous ces bénévoles, ces passionnés qui ne comptent pas et qui sont toujours là. C’est avant tout cela, le football que j’aime.