Originaire de Bédée, François Letexier est arbitre de Ligue 1 depuis cinq ans. Celui qui est devenu papa début mars officie pour la Ligue de Bretagne, avec le club de Bédée-Pleumeleuc. Il nous a généreusement accordé trois longues heures pour évoquer son parcours, son quotidien mais aussi sa vision du jeu et de l’arbitrage. Entretien rare et passionnant qui, espérons-le, permettra à certains de prendre un peu de hauteur et de comprendre un peu mieux un métier pas comme les autres.
Voici plus de 15 ans que vous arbitrez, après avoir fait vos débuts à 13 ans. Comment jugez-vous l’évolution de l’arbitrage depuis une décennie ?
Je n’arbitre chez les pros que depuis 2015 mais j’observe, comme vous tous, les changements de méthode, de mode opératoire. Je dirai que ce n’est ni mieux, ni moins bien qu’avant. Notre corporation avance en même temps que le football. Le corps arbitral s’est professionnalisé. Nous avons le devoir d’être encore mieux préparés physiquement, d’être plus rigoureux et exigeants qu’à une certaine époque. Il y a énormément de travail, d’efforts et d’investissement en amont d’un match.
La majeure évolution, c’est évidemment la VAR. Cette technologie a-t-elle bonifié votre métier ?
Dans ma carrière, j’ai plus arbitré sans assistance vidéo qu’avec. Bien sûr, cela bouleverse le football, cela impacte tout le monde, du téléspectateur aux dirigeants, et ça influence aussi, évidemment, ce qui se passe sur le terrain. Concernant l’arbitrage, il s’agit d’une seconde ligne technique. Avant, nous décidions seuls, dans la demi-seconde. Aujourd’hui, il y a cette évolution permettant une seconde lecture. Néanmoins, nous savions dès le départ que l’assistance vidéo n’éliminerait pas les débats. Elle reste un outil soumis à l’appréciation de son utilisateur, avec les failles que cela comprend. Malgré tout, c’est une aide précieuse, pour nous au centre, mais aussi pour le jeu, afin de diminuer et de corriger les erreurs possibles. Il y a cette possibilité de visionner ce que nous devions auparavant juger dans la seconde, sans nous tromper. La VAR est là pour conforter nos décisions… ou les infirmer lorsqu’on se trompe, ne l’oublions pas, à vitesse réelle. Avec la même obsession qu’avant : prendre la décision juste.
Que se passe-t-il au moment où l’on porte le fameux doigt à l’oreille ?
Vous le savez sans doute, la VAR intervient dans quatre cas précis : les buts, les penalties, les cartons rouges et les erreurs d’identité, plus rares, lorsqu’on donne un carton à la mauvaise personne. Dans les trois premières situations, il faut comprendre qu’on vérifie la justesse de la décision sur un laps de temps plus ou moins long, en fonction des cas, sur les écrans de contrôle. Pour un carton rouge, nous sommes sur une image instantanée. La deuxième lecture des arbitres présents devant la vidéo vient confirmer ou infirmer la décision. Nous échangeons verbalement et le choix est généralement rapide. Pour les buts ou les penalties, c’est forcément plus long puisque nous devons remonter au début de l’action offensive. Il faut être certain qu’aucun événement antérieur à celui que le téléspectateur a vu puis revu au ralenti ne s’est produit avant la faute. Vient ensuite, seulement, la vérification d’une possible erreur manifeste. C’est ce laps de temps qui peut paraître long.
« Un match est stoppé toutes les minutes environ par une faute, une touche ou un arrêt de jeu »
La VAR renforce-t-elle ou affaiblit-elle la position de l’arbitre central ?
Elle la renforce. Un arbitre est un « manager » du match. Il décide. C’est son rôle, ce qu’on attend de lui. On constate que durant l’attente générée par les vérifications, notamment, il y a moins de contestations. La vidéo a réduit ce phénomène, même s’il existe encore. Récemment, on a eu une entrevue avec Jean-Luc Vannucchi qui nous présentait une réunion sur les coups de pieds arrêtés. J’ai eu cette statistique : un coup de pied arrêté est exécuté toutes les minutes environ. Cela représente autant de décisions pour l’arbitre. Au final, le ratio d’erreurs ou de débats est infime. Pourtant, on parle généralement des erreurs, occultant ce qui a été fait de bien, avec cette idée que le fait de ne jamais se tromper serait normal et non méritoire.
Ces débats sont-ils usants à la longue sachant que le nombre de décisions valables est supérieur à celui des erreurs ? Ressentez-vous une certaine injustice ?
Cela fait partie du football, nous faisons avec. Il est important de réussir à se blinder contre tout ça. La remise en cause permanente de nos décisions, c’est un fonds de commerce pour certains, ça sert plus leur notoriété que le jeu ou la compréhension du jeu. Il faut bien avoir à l’esprit qu’un arbitre entre sur le terrain avec une seule ambition : celle d’être le plus juste possible, de protéger les joueurs et de prendre LA bonne décision, même si elle est impopulaire. Nous ne sommes pas les ennemis du jeu, des joueurs ou des supporters. Quand je prends une décision, je suis sincèrement convaincu de faire le bon choix. Ce qui est dur, ce ne sont pas les critiques, c’est quand je sais, à chaud ou un peu plus tard, que je me suis trompé. Et bien entendu, cela arrive…
Que se passe-t-il à ce moment-là ?
Je ne tire aucune gloire du fait de prendre la bonne décision, de ne pas m’être trompé. C’est mon boulot ! En revanche, dans le cas contraire, c’est dur. Il faut savoir qu’après un match, nous débriefons nos décisions et notre rapport est envoyé à la DTA (NDLR : Direction technique de l’arbitrage). Celle-ci nous fait un retour le mercredi afin de nous aider à progresser, à analyser nos choix. Pour autant, je rejette cette idée voulant qu’un arbitre réussit son match si on ne parle pas de lui. C’est faux, les décisions positives doivent aussi être intégrées dans le jugement, sinon c’est à sens unique et à charge.
« Je ne regarde pas ce qui se dit. Les avis à l’emporte-pièce, le buzz ou les punchlines, ça reste du populisme »
Certains joueurs et médias reprochent aux arbitres une attitude arrogante, un côté inaccessible, parlant de personnes avec qui on ne pourrait pas discuter. Pourquoi cette image est-elle tenace ?
Chacun adopte une attitude en fonction de sa personnalité, de sa mentalité, de ses aspirations. Le plus important est que cela fonctionne et n’handicape pas la prise de décision au cours d’un match. Il faut bien évidemment modeler son « personnage », on ne peut pas rigoler sans arrêt ou refuser tout dialogue. Il faut se comporter sur le terrain exactement comme on le ferait dans la vie. Mais c’est aussi une manière de se protéger dans un milieu pas toujours facile humainement.
Le traitement médiatique réservé aux arbitres est parfois terrible. Il n’y a aucune précaution et aucune considération pour les répercussions sur votre quotidien. À 31 ans, comme vous protégez-vous ?
Franchement, j’arrive à me détacher de tout cela pour une raison simple : je ne regarde pas ce qui se dit. Ce n’est pas une posture, c’est la vérité et c’est le meilleur moyen de me protéger. En évitant les débats stériles, menés par des personnes incompétentes pour juger une décision arbitrale, je gagne du temps et de la sérénité. Les échanges avec la DTA et les collègues sont suffisamment nombreux. Des discussions avec les joueurs ou les entraîneurs permettent d’évoluer. En revanche, les avis à l’emporte-pièce, le buzz ou les punchlines, ça reste du populisme et au-delà de nos petites personnes d’arbitres, ça ne sert en rien le football, vraiment…
Et pour vos proches ?
Je pense qu’ils ont pris eux aussi l’habitude de ne pas s’arrêter au négatif et de prêter peu d’attention à tout ce qui se dit. Et comme je ne parle pas spécialement d’arbitrage avec eux, ça se passe plutôt bien. J’étais déjà arbitre quand j’ai rencontré ma femme. Je profite de l’occasion pour la remercier d’accepter et de comprendre mon métier. Être arbitre, c’est un choix égoïste. Ce sont beaucoup d’absences et cela peut parfois peser, aussi. Mais c’est également une passion, un engagement profond qui s’est renforcé au fil des années. Ma compagne suit mes matches de loin et quand elle m’en parle, elle n’évoque pas le score, les équipes ou les joueurs mais le nombre de cartons que j’ai distribués ! (Rires)
« J’ai eu des poignées de main d’entraîneurs qui n’en finissaient pas, très fermes, pour m’impressionner »
Imaginiez-vous arbitrer un jour en professionnel ?
Cela n’a jamais été une obsession, c’est venu au fil des années et des progressions. Aujourd’hui, je mesure ma chance d’évoluer en Ligue 1, d’avoir arbitré en Ligue Europa et même, cette saison, pour la première fois au centre, en Ligue des champions à Liverpool. C’est un bonheur de visiter toutes ces villes, de voyager et de vivre ces aventures avec mes deux compères et assistants, Mehdi Rahmouni et Cyril Mugnier. L’histoire humaine, elle est là et elle est très forte. À 31 ans, il me reste encore pas mal d’objectifs à atteindre et la remise en cause est quotidienne.
Retrouvez la deuxième partie de l’interview dès jeudi matin sur notre site !