Sa vie a des allures de roman. Noël Turquety, bien plus connu dans la capitale comme « Nono », est incontournable, reconnu, tant par sa personnalité et le show offert derrière le bar et en salle que par la qualité de son travail et de sa carrière. Derrière les rires, les fourberies, des cicatrices, du travail et du courage. Portrait d’un vrai personnage comme on n’en fait hélas plus beaucoup !
« Le code de cartes bancaires de clients affichés sur un tableau, avec le nom s’il vous plaît ; les lancers de glaçons qui retombent dans le verre ou celui de bouchons qui bloquent la clim du voisin aux Halles… ; le journal qui brûle ou la petite goutte d’alcool dans le café, des classiques… On peut rigoler, non ? » Au moment de rembobiner le magnéto, installé dans le réceptif cosy des Halles Saint-Grégoire, Noël Turquety savoure, l’œil pétillant de malice.
Il nous raconte ses Halles à lui, au Roazhon Park, l’inoubliable « Chez Nono » mais aussi ses débuts. Le roman d’une vie qui mériterait un vrai bouquin savoureux. De ses débuts à Chanteloup à la criée, en passant par Cleunay, des souvenirs en cascade déferlent, revécus avec authenticité, mimes et mise en scène à l’appui. Le talent pour le One-man Show évident mais comme disait Brassens, sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie. Et il y bien de cela, chez Nono : « Quand j’arrivais au bar, j’entrais sur scène. » Le décor est planté !
« Je me devais et je lui devais, à mon père, de réussir »
Dans la méritocratie, il est de ceux qui forcent le respect. Originaire de Chanteloup, Noël démarre sa carrière par une alternance menée avec l’envie de ceux qui vont au bout des choses, désireux de tout emporter avec eux. Son domaine ? La cuisine : « J’avais sûrement moins de facilités que d’autres mais plus d’envie, je me suis arraché, je bossais beaucoup. Le directeur du CFA et mon professeur, M.Bertrand Denis, à l’époque où j’ai obtenu mon CAP, m’avait même offert sa mobylette ! »
Utile pour sillonner les terrains de foot ou les courts de tennis, ses sports auquel il joua longtemps mais garée au moment d’embrasser sa carrière dans la restauration, à 22 ans seulement : « J’ai monté mon premier restaurant, nommé la P’tite Auberge, ouverte le 1er juillet 1990 et quelques mois plus tard, j’ai perdu mon père d’un cancer, le jour de mes 23 ans, le 23 novembre.
Ce fut très compliqué mais son départ fut comme le coup d’envoi de la partie, je lui devais de réussir, de lui rendre tout ce qu’il m’avait donné. Je me devais et je lui devais de réussir. Pour maman aussi, qui m’aidait dans l’ombre, en cuisine, qui m’a guidé ».
De midis sombres, – « dont un à un seul couvert, un menu à 39 francs en janvier 91 » -, des questions existentielles accompagnant le doute, tout cela conduit « Nono » à remiser en partie le tablier pour prendre le service au bar et changer de destin : « Au départ, je ne connaissais pas le bar, le service. J’ai mis des glaçons dans les premiers cognacs que j’ai servis. Puis j’ai dû le refaire beaucoup plus tard, mais volontairement, pour déconner ! J’ai aussi jonglé avec des glaçons, c’était marrant ! »
« Je bossais 7 jours sur 7, je ne m’arrêtais jamais »
Le style est atypique, fou, dynamique. La clientèle adhère et le bouche à oreille fait son œuvre : « Mes délires ont plu, nous n’avons cessé de grimper, avec un record à 96 couverts un midi. C’était dingue dans une commune comme la mienne mais j’y ai laissé un peu de santé. Je bossais 7 jours sur 7, je ne m’arrêtais jamais. Pour moi, le service devait être un spectacle. » A ce petit jeu, le Breton carbure, fait le show et gagne une réputation allant bien au-delà de sa commune.
Mais au bout de sept ans, le besoin de faire une pause se fait ressentir : « J’ai vendu l’affaire plutôt correctement et nous avons même fait un petit feu d’artifice dans le jardin, ou aussi un karaoké de 24 heures non-stop, où l’on avait écoulé 24 futs de bière quand même. Il y a prescription, c’était sans l’autorisation de la ville pour fêter ça ! C’était chouette mais je voulais monter à Rennes. C’était mon nouveau défi. J’ai trouvé un petit boui-boui un peu dans son jus, à Cleunay. Des vieilles tables en formica, quatre tabourets mais en dix minutes, je savais que ce lieu était pour moi, ce que j’allais en faire. »
Ainsi naquit « La petite étape », ouverte le 23 novembre 1998, jour d’anniversaire, qui va aussi connaître un succès colossal. La tempête « Nono » dévaste tout sur son passage, allant régulièrement jusqu’à 80 couverts avec une belle carte et des plats de qualité mais surtout, un service détonnant, qu’on ne trouve nulle part ailleurs : « J’ai tout de suite intégré l’humour et la connerie, aussi, à mon métier, s’amuse-t-il.
« Des clients m’ont même offert un porte-voix comme dans le Morning Live. Je les annonçais ensuite à leur arrivée avec ! »
Quand j’arrivais au bar, c’était ma scène, le show pouvait démarrer, souvent avec mes clients, parfois malgré eux ! Sans jamais être méchant ou rabaissant pour le client, je repoussais toujours les limites. Des clients m’ont même offert un porte-voix comme dans le Morning Live. Je les annonçais ensuite à leur arrivée avec ! Je pouvais faire tout et n’importe quoi, même s’il y avait tout de même, bien sûr, du contrôle. »
Au programme, des standing ovations donc, au mégaphone, du jonglage, des lancers de bouchons ou des agents des pompes funèbres surnommés les Beatles annoncés en stars à leur arrivée pour prendre le café avant une cérémonie. Serait-ce possible aujourd’hui ? « Sincèrement, je pense que notre époque est moins permissive, plus grave, on rigole moins. A Cleunay, franchement, j’étais au sommet de ma folie. Qu’est ce qu’on a ri… »
Toutes les bonnes choses ont néanmoins une fin et en 2006, changement de cap. Une petite pause d’un an, comme à chaque fois, après avoir tout donné, et c’est reparti cette fois-ci face à la piscine Saint-Georges : « Je passe à coté de la Rotonde, c’est dommage, j’aurais aimé y aller mais je n’ai pas réussi. J’étais en Ligue 1 mais je n’ai pas atteint la Ligue des Champions… », sourit le restaurateur qui lance « la P’tite affaire ».
Le copain Jérôme Mellet, alors chez Blot, le challenge pour acheter la Rôtisserie des Halles, plein centre
Là-bas, moins de folies et de rigolades : « Je n’avais plus vraiment le même « public », c’était un peu plus calme. J’avais mes potes François Denis, Marco Battaler de la direction des sports et Jacques Honoré, qui passaient souvent et qui sont devenus des amis. A l’époque, je bosse aussi avec le volley, qui me permet de rester à l’équilibre dans une affaire qui ne perd pas d’argent mais qui en gagne moins que les précédentes. J’y ai passé cinq ans ».
Côté personnel, Arsène, en 2007 puis Emilio en 2009, agrandissent la famille où Emma, fille de la compagne de Noël, est déjà dorlotée par cet homme aimant. 2009, l’année aussi où le copain Jérôme Mellet, alors chez Blot, le challenge pour acheter la Rôtisserie des Halles, plein centre : « Il me dit : « Si tu n’y vas pas, j’y vais. Tu as dix minutes. » Il ne faut pas me faire ça, à moi… » Un pied est posé dans le centre névralgique de Rennes avec la destinée que l’on sait.
En 2014, Noël se positionne et achète le restaurant d’alors et lance un concept novateur, le premier à Rennes, de bar à tapas et huîtres, avec, pour la première fois de sa carrière, une cuisine à la plancha, face à la fromagerie : « J’avais emmené mon banquier y manger, pour lui évoquer mon souhait d’acheter une belle affaire. En sortant, il me demande quand est-ce je lui montre celle-ci. Je lui réponds qu’on vient d’y manger », se marre Nono.
« Ça a pris un peu de temps mais nous sommes montés haut, très haut »
Les copains, le banquier, tout le monde le prend pour un dingue : « Gégé, patron d’alors de « Chez ma Tante » aujourd’hui décédé, me dis qu’il n’aurait pas mis plus de 10.000 € sur ce coup-là. Je l’achète 54.000 et il me traite de fou… Un an après, il était venu s’excuser (rires) ! »
Ce fou qu’il est un peu, convaincu, à raison, qu’il va faire de ces 25 mètres carrés The place to be du petit monde rennais : « Ça a pris un peu de temps mais nous sommes montés haut, très haut. Le café à un euro pour tous les commerçants des Halles, les tapas, les produits frais cuisinés sur place avec une carte évolutive et sympa, avec un ticket moyen à 40 €, ça a marché du feu de dieu ! Et j’ai aussi eu quelques coups d’éclat comme un bouchon de champagne envoyé chez mon voisin fromager, Laurent Payoux, qui a malencontreusement foutu en l’air son ventilateur et le froid de sa boutique… »
« Les gars du Stade Rennais sont venus après la finale »
Pendant six ans, « chez Nono » devient la cantine de bon nombre d’entreprises et patrons rennais et surtout, un endroit hors du temps, à part, n’en déplaise à certains voisins d’alors, pas toujours avenants et sans doute piqués par le succès d’un mec génial et novateur : « J’ai retrouvé ma fraîcheur, mes conneries aussi (rires) ! J’ai vécu six années de folie, les gars du Stade Rennais sont venus après la finale, Benjamin André et Benjamin Bourigeaud m’ont même appelé le matin à 9 h car je n’étais pas encore arrivé.
J’ai mis mon plus beau maillot Pfeizer et je suis arrivé. Ce jour-là, j’ai relevé Koubek qui ne tenait plus trop debout. Les gars du foot passaient régulièrement, les volleyeurs aussi. Je me souviens que Kamil Baranek était devenu un copain. Je délirais aussi sur l’inoubliable Kurt Toobal !
Yoann Gourcuff était aussi régulièrement de passage avec Karine Ferri, pour qui j’avais même installé un petit rideau à l’occasion, afin d’être tranquille et dont j’ai fait les courses sur les Halles. Hors sport, L’acteur Vincent Perez a déjeuné chez moi, j’ai même mis un temps à le reconnaitre. Christophe Michalak, l’un des meilleurs pâtissiers du monde, est aussi venu, avec son bonnet sur la tête et il avait apprécié. Côtoyer tous ces gens-là, même si j’ai adoré mes clients et copains, c’était quand même quelque chose. »
« Mes deux garçons m’ont sauvé d’une blague beaucoup moins drôle… »
Beaucoup de belles émotions qui secouent encore notre interlocuteur, au moins autant que la fin de l’histoire, cruelle et brutale, vécue aux côtés de Rachel Gesbert, autre grand nom de la restauration rennaise, à table avec Nono ce soir-là de mars 2020 : « Le Covid frappe à la porte. Lui, on ne l’avait pas invité et on ne savait pas qu’il allait rester aussi longtemps.
Il a eu hélas raison de notre belle aventure car je n’ai pas eu le droit aux aides. Nous venions de changer de statut quatre mois plus tôt et il en fallait six pour être aidé. Et comme souvent quand un truc part de travers, le reste suit et je me suis séparé de la mère de mes enfants. J’étais vraiment dans le dur et sans mes deux garçons, sincèrement, j’aurais pu faire une connerie, qui n’aurait pas vraiment fait marrer cette fois-ci. »
La main tendue du Stade Rennais pour prolonger l’aventure
Obligé de renoncer au sommet de sa carrière, Noël pense son histoire avec la restauration sur la fin : « Franchement, j’ai pleuré sur la fin de l’histoire de « Chez Nono ». Pour moi il y avait encore quelque chose à écrire, pour beaucoup, ma boutique était devenue, selon leurs mots, une institution… Mais c’était le destin et je ne retiens que les moments magiques vécus avec mes clients. J’ai y mis du cœur et ils me l’ont rendu au centuple ! »
L’histoire ne s’arrête pourtant pas là, quand Thierry Gabillet, du Stade Rennais, puis Richard Delcaude et Julien Boucher se manifestent : « Ils sont venus me chercher pour me demander de prendre en charge le Breizh Club, derrière la tribune rose. Quand on m’a expliqué qu’il s’agissait de 55 mange-debout dans une salle de 800 m², d’une équipe à monter, d’un salon à animer avec en plus, le privilège de le nommer « Les Halles du Breizh Club », là, je n’ai pas pu reculer. Ils m’ont relancé deux fois et à la 3e, j’étais reparti. Mon pote Jacques Aubry m’a dit que j’étais fou de refuser, deux fois, mais j’y suis allé ! »
Une atmosphère que viennent chercher les abonnés du salon
Aujourd’hui prestataire pour le Stade Rennais, Noël a retrouvé un bout d’ambiance des halles, avec cet esprit qui ne se décrit pas mais se vit. Une atmosphère que viennent chercher les abonnés du salon, près de 630 par match, avec 40.000 huîtres et 15.000 galettes par an. Un régal : « Ils m’ont sauvé professionnellement, vraiment, je sais ce que je leur dois.
C’est un honneur, tout en n’ayant plus désormais les contraintes de l’administratif, des murs, de tout ça. Je kiffe, je savoure chaque moment. Je suis aussi toujours, par amitié, avec le REC Volley, que je refuse de voir mourir. Ce qui s’est passé là-bas fait mal au cœur mais je me fais un devoir d’être du nouveau départ. »
Une nouvelle vie, jamais loin des fourneaux et de ses clients tant aimés dans ses quatre restaurants, avec moins de contraintes mais toujours autant de plaisir : « Je ne changerai pour rien au monde. Tant que l’envie de bosser mais surtout de partager seront là, avec si possible une ou deux blagues au moment du service, vous pourrez compter sur moi. » Et ça, tous ceux qui ont eu la chance de croiser Nono le savent déjà. Pour les autres, il n’est jamais trop tard !