Gardiennes, un monde à part, une bulle, une équipe dans l’équipe. À Saint-Grégoire, Marijana Markota-Karic, 28 ans et Sarah Vukovac, 25 ans font la paire dans les buts. Après plus d’un mois passé à travailler et à se découvrir, elles ont volontiers accepté d’échanger ensemble sur le poste, leur vision du hand mais pas que.
Gardien, un poste à part, un univers à part entière. Comment êtes-vous arrivées dans les buts ?
Marijana Markota : Pour ma part, quand j’ai démarré le hand il y a dix-sept ans, le coach m’a passé un peu sur tous les postes. On essaie, on s’amuse et une fois dans les buts, j’ai du bien me débrouiller et il m’y a laissé (rires) ! J’étais un peu plus grande que les autres et c’est vrai que du coup, leurs tirs ne me faisaient ni mal, ni peur. J’ai pris goût au poste la preuve, j’y suis encore !
Sarah Vukovac : De mon côté, j’ai toujours évolué dans les buts. Je commencé au même âge que « Maki » et je n’ai jamais quitté la cage, jamais fait un match, même amical, dans le champ. J’aimerais bien pourtant !
M.M. : Pour cela, nous avons les jeux d’échauffements aux entraînements. Même si les autres joueuses ne se battent pas pour avoir les gardiennes dans leur équipe, c’est un moment important pour nous, l’un des rares où l’on peut courir, se défouler, tirer !
S.V. : C’est trop ça. Pour nous, l’échauffement, c’est notre « Champion’s League », on veut réussir de belles passes, de bons shoots ! Après, bon, on retourne dans nos buts. « Maki » adore faire des feintes et moi, j’ai souvent tendance à frapper sur les poteaux ! Dans l’autre sens, Anaëlle adore aller dans les buts, elle plonge comme une « folle », en mode foot. C’est quelque chose ! (rires)
Vous évoquez l’échauffement mais plus généralement, l’entraînement est capital. Beaucoup de choses s’y jouent en vue du match du samedi et on n’en sait que peu de choses…
S.V. : C’est vrai, on y travaille forcément les automatismes mais c’est aussi, selon les moments, l’opportunité pour toutes les joueuses de comprendre les difficultés et impératifs de chaque poste. Certaines aiment parfois venir dans les buts et vont ensuite mieux saisir ce qui se passe à notre poste. Il faut comprendre les problématiques et difficultés pour être solidaires, se comprendre.
M.M. : Quand nous défendons ou attaquons sur le terrain dans les petits jeux, on voit aussi qu’il y a du boulot. On va moins facilement râler après sur une ailière qui ne fait pas un aller-retour quand on voit ce qu’implique d’en faire 14 ou 15 dans un match ! Nous n’en ferions peut-être même pas cinq. Comprendre pour mieux s’encourager, c’est important.
« On est toutes les deux professionnelles, on est là pour bosser, et peu importe que je l’aime ou pas mais finalement, ça tombe bien, je l’aime ! Nous avons tout pour faire un beau chemin ensemble. »
Comment se déroulent vos semaines d’entraînement et quel y est votre état d’esprit ?
M.M. : Personnellement, j’ai la même attitude qu’en match. L’idée est de ne pas laisser passer un ballon, même si cela plombe la confiance d’une collègue en attaque. En performant, nous les aidons aussi à progresser, à varier leur jeu. Avant ou après une séance, on rigole, je suis avec les copines mais pendant l’entraînement, il n’y pas d’amies, juste le boulot à bien faire !
S.V. : Je partage totalement. On est un peu à part, c’est vrai, avec une séance spécifique le lundi pour nous et une autre le mercredi, plus destinée à faire travailler les tireuses. Nous discutons beaucoup, échangeons, essayons d’analyser nos performances, nos points d’amélioration. Il faut y mettre du sérieux, de l’implication mais aussi beaucoup de rigueur et de détermination pour pouvoir avoir les bons repères en match. C’est capital et indispensable pour progresser.
Quel regard portez-vous sur votre binôme ?
S.V. : Nous n’avons pas du tout le même style de jeu et c’est très enrichissant pour nous deux. « Maki » est très patiente, laisse venir le shoot. Elle est forte sur la lecture du jeu et les tirs lointains. Moi je n’arrive pas à patienter, je saute partout, tout le temps, je suis plus agressive à aller frontalement face aux tireuses, notamment contre les ailières. Ces différences, font, je pense, la force de notre binôme.
M.M. : La description de Sarah est juste, je pense que l’on apporte des choses différentes à différents moments du match. Certains scénarios seront d’ailleurs plus adaptés à l’une ou l’autre, tout comme l’équipe adverse peut parfois inciter à faire jouer Sarah ou moi. Le fait d’avoir de l’expérience nous permet aussi de ressentir en cours de match quelles qualités sont nécessaires dans le déroulement de la partie.
OK pour la partie technique mais qu’en est-il de la partie relations humaines ? Vous êtes deux numéros 1 pour une place au coup d’envoi, avec de l’expérience et un niveau équivalent…
M.M. : Depuis que nous sommes sans entraîneur attitré, cela nous a rapprochées, je pense. Là, s’il y a le moindre souci, on se parle, on avance. Avec Sarah, je suis poussée vers le haut, notre niveau est proche et la concurrence très saine, nous faisant avancer. On est toutes les deux professionnelles, on est là pour bosser, et peu importe que je l’aime ou pas mais finalement, ça tombe bien, je l’aime (rires) ! Nous avons tout pour faire un beau chemin ensemble.
S.V. : Avant de la découvrir par moi-même aux entraînements, j’avais eu quelques échos comme quoi elle pouvait être impulsive, « péter » des plombs et s’énerver aux entraînements mais en fait, elle est trop calme…
M.M. : Attends, attends, ça va bientôt venir… (rires).
S.V. : Je m’étais préparée, du coup, à découvrir quelqu’un d’un peu caractérielle mais pas du tout. Elle est directe, dit les choses mais tout se passe bien. Quand elle est revenue à l’entraînement, avec un grand sourire, tout s’est fait naturellement. Nous avons du vécu et avoir une telle collègue sur le poste permet aussi de ne plus avoir d’épée de Damoclès au-dessus de la tête en match, avec la pression de performer sur toute la durée. On sait qu’au moindre coup de moins bien, sur le banc, l’une ou l’autre de nous deux saura prendre le relais si nécessaire.
Une collègue maman, ce n’est de plus pas si courant ! Quel regard portes-tu sur le retour express de Marijana ?
S.V. : Franchement, au départ, je me suis dit « elle est cinglée » ! Revenir aussi vite, sans la moindre appréhension, c’est vraiment impressionnant. Elle change de direction, va en haut, en bas, ne réfléchit pas, ne se plaint jamais alors que la fatigue pourrait, légitimement, l’amener à s’économiser ou se plaindre mais non.
Sincèrement, tu ne sais pas qu’elle vient d’être maman, impossible de le deviner et ça, c’est costaud ! Mentalement, elle est très forte. Inès est toute petite et « Maki » n’a aucune séquelle, n’est jamais inquiète quand elle est avec nous. Je suis admirative, tout simplement, et je serais totalement incapable d’en faire de même aujourd’hui…
M.M. : C’est très gentil et je rejoins Sarah sur le fait qu’aujourd’hui, je m’entraîne ou je joue comme si je n’avais jamais été enceinte. J’ai arrêté de courir à sept mois de grossesse, une semaine avant l’accouchement, j’étais encore à Vivalto. La présence de Sarah m’a aussi poussée à tout cela, je voulais revenir au même niveau qu’avant ma grossesse, pouvoir lui donner la réplique, être là, au niveau.
Après, je pense que j’ai cela dans mes gènes. Ma mentalité s’est forgée aussi dans mes origines, avec des parents ou grands-parents qui ont souffert de la guerre, de sa violence. En ex-Yougoslavie, pour beaucoup, c’était une question de survie. Ça vous forge, même si je ne l’ai pas vécue directement.
L’arrivée d’Inès t’a-t-elle changée ?
M.M. : Forcément, oui. Ça m’a complétée, je suis heureuse aujourd’hui, dans ma vie privée, dans ma famille et forcément, sur le terrain. J’y donne tout mais une fois le match terminé, que j’aie gagné ou perdu, je sais qu’un petit sourire m’attend à la maison. La maternité m’a calmée je vois les choses différemment. Je ne suis tout simplement plus ma priorité.
L’accompagnement du club et de la Fédération a-t-il été à la hauteur de l’événement que constitue l’arrivée d’un enfant ?
M.M. : Clairement oui. Le club a été top, me permettant de continuer de m’entretenir et de travailler chez notre partenaire Vivalto, où j’ai été accompagnée dès que nécessaire. J’ai aussi pu faire des séances spécifiques au CHP pour la rééducation et re-musculation du périnée avec des outils adaptés.
J’ai aussi eu la chance de bénéficier des nouveaux statuts instaurés par la Fédération de Handball, ce qui m’a permis de bénéficier d’un congé maternité, comme dans n’importe quel métier. Que ce soit pour les règles, une grossesse ou même d’autres maladies, comme l’endométriose, notre corps impose des spécificités qui ne peuvent être ignorées et doivent être considérées par respect pour le sport féminin et tout simplement les femmes.
S.V. : Clairement, une femme n’a pas à être victime quand elle tombe enceinte, que ce soit à l’intérieur du club ou à l’extérieur. Le handball avance dans le bon sens sur ce sujet et c’est tout à son honneur mais cela devrait déjà être partout le cas. Je le répète, quand je vois comment « Maki » gère tout cela, et avec quelle détermination elle est revenue, cela force le respect et prouve que l’arrivée d’un bébé ne doit pas rimer avec l’arrêt d’une carrière. Les deux sont conciliables !
Dans les objectifs de la saison, outre le maintien, y’a-t-il celui de devenir amies ? Beaucoup craignaient la rencontre de vos deux caractères et ambitions…
S.V. : On sera capables de se parler c’est sûr, de rigoler aussi et de se tirer vers le haut, avec respect. Pour le moment, nous n’avons pas encore eu l’occasion de nous découvrir et de partager beaucoup de moments hors du terrain mais il n’y aura pas de souci pour cela. Nous ne voulons pas être dans les gamineries et comptons bien performer. Et si on peut bien se marrer et vivre de beaux moments, on ne se privera pas !
M.M. : Gardienne, c’est un métier solitaire, un sport individuel dans un sport pro. Mais dans ce modo « solo », nous sommes deux et je suis certaine que l’on va fonctionner de mieux en mieux. Sarah est cool, je vous l’ai dit, je l’aime bien, alors pas de souci à se faire de ce côté-là.