Les soirs européens ont une saveur particulière, unique. Parfois fabuleuse, comme face à Astana, Arsenal ou à Séville, il y a quatre ans déjà, parfois terriblement amer avec ce Stade Rennais, qui rangera ce jeudi de février aux côtés de ceux vécus contre Chelsea, Leicester ou Krasnodar. Souvent, l’adversaire importe peu, qu’il soit à l’évidence plus fort ou au contraire, à minima abordable, ou pire… Ces moments où l’on quitte le Roazhon Park entre regrets éternels, rage et déception, ou plus simplement frustration. Un autre mot vient pourtant, ce vendredi matin, à l’esprit : lucidité. Celle-ci semble trop éparse actuellement à tous les étages d’une fusée qui fonce aujourd’hui plus vers le sol que vers les étoiles, même si un redressement demeure tout à fait possible.
Avec déjà sept défaites toutes compétitions confondues depuis la reprise, le canvas du Stade Rennais 2023 n’a plus grand chose à voir avec le magnifique rouleau-compresseur qui semblait taillé pour durer dans le top 3 de Ligue 1 avant le mondial. Depuis, les mauvais coups avec les blessures ô combien handicapantes de Martin Terrier, Xeka et Hamari Traoré conjuguées avec des méformes à tour de rôle font la paire avec les choix de Bruno Genesio, de plus en plus difficiles à suivre et à valider. Tantôt en 4-4-2, puis en 3-4-3 ou 3-5-2 c’est selon, avant de repasser par le 4-3-3 puis de recoller un 4-4-2 hier soir, le coach semble avoir perdu le fil, la continuité et les certitudes en ses hommes et ses schémas préférentiels. Moins inspiré, le coach n’est pas pour autant devenu mauvais ou bon à « jeter », loin de là et doit apporter une réponse, autoritaire et victorieuse. Hier, manquaient au coup d’envoi Martin Terrier, donc, Hamari Traoré le capitaine, mais aussi les cadres incontestables d’hier comme Arthur Theate ou Flavien Tait, sur le banc. Avec en plus Benjamin Bourigeaud, suspendu, cela faisait beaucoup. Trop et l’on peut se demander si la prise de risque d’autant de jeunesse sur un match aussi important n’était pas une prise de risque trop grande. A vivre sans risque, on triomphe sans gloire. Quand on gagne…
Si l’émotionnel l’emporte et, de par le scénario et les émotions de la rencontre, laisse une impression d’avoir vécu une grande soirée européenne, le match ne fut pas, lui, de haute volée. Beaucoup trop d’approximations dans la dernière passe, pas assez de rage dans les frappes, et un manque de précision préjudiciable à ce niveau-là. Si l’envie y est, avec notamment 20 premières minutes intenses qui auraient mérité une récompense sur les différentes tentatives de Gouiri, Spence, Truffert ou Majer, le Shaktar, était venu sans autre ambition que celle de bétonner et gagner du temps. Meilleure illustration, son gardien, Trubin, prenant une éternité pour chaque dégagement dès la 1ère minute de jeu. Discipliné à défaut d’avoir l’envie de jouer, le club ukrainien refroidit l’assistance en ouvrant le score par Traoré sur corner (21′). Passifs sur le coup, Djed Spence et Adrien Truffert sont sauvés par le VAR, qui annule l’ouverture du score de Lassina Traoré pour une main. Averti, le Stade Rennais perd un peu de sa folie mais reste dans le coup, sans pour autant trouver l’ouverture (mt,0-0).
Après le repos, Rennes a toujours le ballon, attaque mais butte sur le bloc bas visiteur. Jérémy Doku, omniprésent offensivement, va débloquer le match sur un raid solitaire tout en vivacité et en puissance, pour trouver Gouiri au point de pénalty, dont la dernière passe trouve Karl Toko-Ekambi au second poteau. Sans trembler, l’international camerounais offre la première détonation de la soirée du Roahzon Park. Enfin libérés les Rennais ? En partie, oui, mais bien trop approximatifs et prévisibles pour enchaîner au tableau d’affichage. S’en remettant presque exclusivement aux déboulés de l’international belge enfin intenable, la formation de Bruno Genesio n’offre plus la fluidité et la qualité collective qui en fit une équipe parfois irrésistible. Très loin de là, le milieu de terrain semblant à court de solutions techniques ou tactique, à l’image de Lovro Majer, trop peu impactant dans le jeu. Ajoutez-y des latéraux n’amenant que trop peu de dédoublements à leurs ailiers et le Shaktar, rapidement court physiquement, pouvait attendre son adversaire, sans paniquer. Ce manque d’inspiration, s’expliquant aussi par la multiplication des changements de systèmes, empêche les « Rouge et Noir » de forcer leur destin. Sur sa seule occasion, comme en première période, le Shaktar frôle l’égalisation, par Konopla, mis en échec par une horizontale autoritaire de Steve Mandanda. Sans solution, Rennes file vers une prolongation accueillie malgré tout avec enthousiasme par un stade bouillant et à la hauteur du début à la fin de la coupe d’Europe.
Ce douzième homme, si déterminé à pousser ses hommes à la qualification, est récompensé en fin de première période. Entré en jeu, Ibrahim Salah inscrit son premier but rennais sur un énième déboulé de Jérémy Doku, dont l’offrande au second poteau ne peut avoir d’autre destin que de fracasser les filets du placide Trubin. La joie qui suit ce second but rennais est aussi intense que, peut-être, trop forte, trop tôt… Le flux, la concentration et l’énergie laissés lors de cette fusion entre joueurs, remplaçants et staff, heureux comme s’ils venaient d’officialiser la qualification, va coûter cher. Il reste alors 13 minutes à jouer et le Stade Rennais, face à un adversaire n’ayant plus les cannes pour attaquer, déjoue. Au lieu d’appuyer et d’aller mettre le troisième but, un corner est joué à deux, on fait tourner la balle et Trubin termine la partie sans frayeur, si ce n’est sur un tacle désespéré de Matvyenko sur un ultime débordement de Jérémy Doku, tout proche de marquer contre son camp.
Ce fameux « csc », il va hélas venir d’en face… Alors qu’il a fêté ses 18 ans il y a tout juste une semaine, Jeanuël Bélocian, auteur par ailleurs d’un match épatant eut égard à son jeune âge, dévisse son dégagement devant Steve Mandanda sur un centre ukrainien. Le ballon prend un trajectoire improbable et lobe le capitaine d’un soir, totalement impuissant. Il restait une minute, et le ciel vient de tomber sur la tête d’un Stade Rennais qui s’y voyait probablement déjà. La suite ? Inexorable, avec une séance de tirs aux buts où les Rennais remontent les deux tirs arrêtés de Doku et Meling, pour finalement chuter sur la septième tentative visiteuse, sans parade pour Steve Mandanda. Silence et clap de fin, la saison européenne est finie.
Il faudra des actes et des points
L’amertume, oui. Les regrets, évidemment, mais, comme nous le disions, la lucidité, à l’issue de la partie, mène au constat que cette élimination ne s’est pas jouée sur un coup de dé, ni uniquement hier soir. Rennes empile les campagnes européennes mais continue de se faire mal, tout seul. Cette campagne l’illustre : deux fois repris au score alors que confortablement installé face au Fener, auteur d’un nul archi-décevant pour ne pas dire pire à domicile contre Larnaca, ou sauvé par un but miracle au bout du bout de Désiré Doué face à Kiev ou d’Assignon à Larnaca, le Stade Rennais n’est jamais parvenu à maîtriser un match de A à Z une rencontre d’Europa League. S’il a parfois été brillant, il a trop souvent montré ses limites, tant dans la maturité que dans la constance. Les enseignements seront nombreux, très variés et surtout, précieux, à condition de regarder en face une réalité qui pourrait, dimanche à Nantes, prendre un visage inquiétant. Les mots rassurants du coach après la rencontre, très fier de ses joueurs et du contenu du match, ne doivent pas occulter une réalité dont le staff et le board ont évidemment conscience : Rennes est face à un tournant et ne doit pas perdre définitivement le fil de sa saison, communication positive ou non. Il y a ce que l’on dit eu public, et le vestiaire, deux mondes aujourd’hui sans doute différents.
Plus que des mots ou la « mise au ou sur le banc » d’untel ou untel, solution éprouvée ailleurs et pas toujours probante, il faudra des actes, et des points. Ceux qui ont démarré l’aventure doivent aller au bout, car probablement seuls « propriétaires » des solutions. Eliminé précocement de la coupe de France puis de la coupe d’Europe, malgré un tirage qui était en définitive favorable avec un Shaktar diminué par tout ce que l’on sait, Rennes devait faire mieux, et n’a plus que le championnat et une place dans le Top 5 pour sauver sa saison. Avec la Beaujoire dimanche, l’OM à domicile une semaine plus tard puis deux déplacements à Auxerre puis Paris, les trois semaines à venir s’annoncent très chaudes et ne laisseront plus de marge d’erreur ou de place à l’innovation. Bruno Genesio et son équipe, en quête de points comme d’un retour de certitudes, savent ce qu’il leur reste à faire s’ils veulent s’éviter une fin de saison pénible et ne pas fourvoyer eux-mêmes une fois de plus. Celle-ci deviendrait implacablement celle de trop.