Vainqueur en catégorie « Rhum Multi » de la dernière Route du Rhum, pour sa seconde participation 16 ans après la première, Loïc Escoffier, à la barre de Lodigroup, a fait très fort en remportant sa catégorie, portant une nouvelle fois le patronyme familial dans l’histoire de la voile. Non sans de très belles émotions !
Au moment de franchir la ligne d’arrivée en Guadeloupe, quelles ont été vos premiers sentiments ?
J’étais déjà très heureux d’arriver de l’autre côté, de finir la course sans casse. Avec Alexis (Lockman, PDG de Lodigroup, ndlr), c’était le premier objectif que nous nous étions fixés. Dans ma tête, j’étais second, derrière Roland Jourdain mais quand on m’a appris que sa pénalité me propulsait en première place, ce fut dingue. Quand on m’annonce que j’ai gagné, je ne réalise pas du tout, il m’a fallu du temps. Moi, j’étais déjà heureux d’avoir fait une très belle course, de m’être tiré la bourre avec les copains mais de là à gagner…. C’est un sentiment puissant, incroyable.
On pense alors évidemment à la famille, qui de plus, s’y connait « un peu » en voile…
A mon départ, je sais que mon petit garçon ne voulait pas que je parte, que ma fille a mal dormi avant, pendant, après… Les enfants ressentent beaucoup de choses, les comprennent. Tout cela, ça marque, ça reste en tête mais une fois parti, la compétition prend le pas. C’est typiquement « Escoffier », on se met dans une bulle et on n’en sort plus…jusqu’à l’arrivée. Là, c’est un moment intense, on retrouve la famille, tout le monde est présent. Il y aussi évidemment Alexis, toute l’équipe Lodigroup qui a rendu possible ce moment.
Une course partie d’un pari entre potes, ou presque…
Avec Alexis, ce fut un coup de cœur réciproque ! Notre première rencontre était dans un bus lors d’un déplacement à Nantes organisé avec le REC Rugby, dont il était déjà sponsor, pour y voir un match de rugby. A l’aller, il servait gentiment un pot d’accueil aux arrivants quand je l’ai rencontré pour la première fois. Depuis, nous sommes devenus inséparables, très amis et c’est lors d’une longue soirée qu’il m’a demandé si j’avais envie de repartir en solitaire sur une route du rhum, si j’en étais capable. Pour moi, évidemment, c’était un grand oui… Ensuite, nous avons étudié les différentes options pour arriver à ce projet qu’est devenu le bateau Lodigroup. Cette victoire, c’est évidemment aussi la sienne, celle de toute une équipe qui a été aussi compétente que bienveillante à mes côtés, sans qui rien n’aurait été possible !
Le fait d’avoir réalisé cette course en même temps que Kévin, votre frère, ajoute à l’émotionnel de cette aventure. Comment vos parents vivent-ils pareille situation ?
Nous avons connu pire dans la famille ! En 2006, j’étais au départ de la Route du Rhum, papa, qui l’a gagnée, aussi et mon frère, lui, était engagé sur une autre course en même temps ! Heureusement que Yannig était là pour rester avec ma mère entre deux matchs de rugby ! Pour ce qui est de cette édition, forcément, c’était chouette d’être à côté de Kévin, qui courait en Imoca sur un bateau tout neuf qu’il a brillamment amené à une superbe quatrième place. Je suis très, très fier de lui, il est désormais parmi les meilleurs skippeurs de la planète, a déjà un très gros palmarès. Après son chavirage lors du dernier Vendée Globe, réussir sa première Route du Rhum ainsi, c’est énorme.
Vous avez aussi connu un chavirage lors de la préparation l’été dernier en Irlande. Celui-ci a-t-il été important au moment de gagner en novembre dernier ?
Très clairement, oui ! Sans lui, je pense que je n’aurais jamais terminé la course. Quand on prend un bateau, on le découvre, on pousse les limites, on s’apprivoise réciproquement, mais pas tant que ça. C’est surtout au marin de savoir, de sentir les choses et de savoir ce que l’on peut faire ou non. Avec l’accident de l’été dernier, nous avons pu cerner les capacités et les ressources du bateau. Sur le Rhum, j’ai évidemment été très vigilant à ne pas être totalement fou, à respecter les possibilités du bateau. Tant mieux si cela a marché, même si j’ai parfois appuyé fort, très fort…
La nuit, notamment, votre point fort…
C’est vrai. Le fait d’avoir 20 ans de pêche et de navigation derrière moi aide. La voile est un sport où l’on se bonifie avec l’âge, la maturité aidant mais aussi l’expérience de la mer, des situations que l’on peut rencontrer, chaque jour. Pour ce qui est de la nuit, il est vrai que j’ai l’habitude d’accélérer fort, de foncer, quand certains profitent de ce moment pour réduire la voilure et se reposer un peu. Comme le dit mon père, de toute façon, on ne voit quasiment rien, alors fonce ! J’ai réussi mes plus gros gains de temps sur ces périodes-là.
Une telle aventure, au-delà de la séparation de la famille, donne forcément envie d’y retourner ?
Bien sûr, nous avons l’envie d’y retourner, surtout après une telle course, même s’il faut reposer un peu tout le monde. Nous verrons ce que réserve l’avenir. Alexis m’a déjà demandé si j’étais prêt à défendre notre titre dans quatre ans (rires) ! Mais mon quotidien, immédiat, c’est de retourner diriger mes gars. Je ne vais plus en mer mais être armateur, c’est du temps, beaucoup d’énergie et de travail. J’ai savouré la victoire en Guadeloupe, comme il se doit, mais 72 heures plus tard, c’était reparti pour le travail, avec mes équipes.
Faire une Route du Rhum, un Vendée ou une Jacques Vabre est un privilège énorme, quelque chose d’unique mais eux sont de vrais héros, qui bravent la mer chaque jour pour gagner leur vie, faire tourner l’entreprise, offrir les meilleurs produits aux consommateurs. Je n’ai que 40 ans mais pourtant, j’ai déjà perdu une dizaine de potes en mer. Cette victoire est aussi la leur, la mer ne pardonne pas mais pourtant, son appel est souvent plus fort que tout.