Si certains médias parisiens n’épargnent pas le Stade Rennais, d’autres ont un regard plus constructif – et instructif – sur les performances bretonnes. Nous avons interrogé Julien Brun (ex-Téléfoot) et David Berger (Canal+) pour avoir leur analyse sur la situation actuelle des Rouges et Noirs.
Le Stade Rennais est-il selon vous un club en crise alors que le compteur points reste enrayé en cette année 2021 ?
David Berger : En crise de résultats, oui, incontestablement, mais en crise sportive, non. Ils ne sont pas non plus à la lutte pour ne pas descendre et n’évoluent dans un contexte comme celui de Marseille, qui avait annoncé la Ligue des champions. De plus, Rennes peut encore atteindre son objectif européen, même si ce sera compliqué. L’équipe peut signer une énorme série sous l’impulsion du nouveau staff, après la nomination de Bruno Genesio comme coach. Au-delà de la question de l’entraîneur, je parlerai d’une fin de cycle. Les résultats ne sont pas bons, l’attaque ne répond plus et derrière, la fatigue et le manque d’efficacité sont systématiquement punis. Pour réussir sa saison, une équipe doit s’appuyer sur un très bon gardien et un buteur. Force est de constater que Rennes n’a ni l’un, ni l’autre pour le moment.
Julien Brun : On ne peut pas jeter tout ce qui a été accompli par ce club depuis trois ans sous prétexte qu’il connaît une mauvaise série. Le départ du coach ne remet pas en cause ce qui a été fait. L’institution rennaise est solide. Le club a grandi, notamment grâce au passage d’Olivier Létang mais également après. Le fruit de la formation est là. Je suis convaincu, par ailleurs, que l’absence du public cette saison pèse particulièrement lourd à Rennes. On sait quelle était la relation entre ce groupe, ce coach et leurs supporters. Aujourd’hui, on sent que la progression de l’équipe est nettement freinée. Il y a une crise de confiance, c’est sûr, mais Rennes n’est pas non plus dans l’état du FC Nantes ou de Bordeaux.
Auriez-vous imaginé, début janvier, un tel scénario deux mois plus tard : départ de l’entraîneur, crise de confiance, chute au classement ?
David Berger : Cette équipe ronronne depuis un long moment. Je ne reconnais plus celle qui nous avait enthousiasmés en début de saison. Il n’y a pas d’intensité, pas de vitesse, pas de solutions de rechange et surtout, il y a une possession stérile. Pour illustrer ça, face à Nantes, Reims et Saint-Etienne, l’équipe a eu le ballon plus de 70 % du temps pour deux petits points pris. Plusieurs individualités sont dans le dur. On a placé beaucoup d’attentes sur les jeunes Jérémy Doku et Eduardo Camavinga qui, pour le moment, déçoivent. L’équipe n’a pas de vrais leaders. Sur coups de pied arrêtés, les Rennais, jadis efficaces, n’y sont plus. On sait qu’en Ligue 1, seulement 6 % des corners se finissent par un but. Et les coups francs… Clément Grenier a été longtemps réputé pour cela. Il n’a pas marqué en Ligue 1 sur ses 42 dernières tentatives. Sa dernière tentative réussie remonte à mai 2018 : c’était contre Toulouse, avec Guingamp, sur coup franc direct (NDLR : il en a néanmoins inscrit un contre Kiev en Ligue Europa en 2019). Tout cela mène à une situation délicate mais qui n’a rien d’irrémédiable. Concernant Julien Stéphan, sincèrement, si nous pouvions imaginer un départ en fin de saison, le timing et la forme surprennent !
Julien Brun : Pour moi, l’équipe a parfois surperformé, comme en début de saison ou sur certains passages les années précédentes. Elle était à 120 % de ce dont elle était capable. Aujourd’hui, nous sommes dans le bas de la sinusoïdale, dans le creux, sans doute à 80 % de ce dont elle est capable. À un moment donné, certains pensaient même que Rennes était devenu le troisième club français. C’est peut-être allé un peu loin, un peu trop haut, mais il ne faut pas les enterrer et tout balancer. Le Stade Rennais a remporté la Coupe de France, il a une nouvelle gouvernance, il a découvert la Ligue des champions, il a dû gérer le mercato puis digérer le fait de ne pas être passé loin, tout en terminant dernier de sa poule. Cela fait beaucoup de choses, qui ont forcément laissé des traces. Il y a eu une telle débauche d’énergie, un tel investissement que tout cela devait se payer à un moment. Rennes n’a jamais mis des raclées – ou très rarement – mais il n’en a pas pris non plus. Cela se joue régulièrement à un but d’écart. C’est aussi pour cela qu’il ne faut sans doute pas les voir hors course trop vite.
Vous évoquiez le mercato. Est-il selon vous raté ?
Julien Brun : C’est facile de tirer des conclusions a posteriori, surtout quand les résultats ne sont pas là. En début de saison, je ne trouvais pas ce mercato idiot. C’était très intéressant et je voyais un effectif solide, dans le Top 5. Je n’ai pas foncièrement changé d’avis ! Il y avait quatre centraux, même si Daniele Rugani est reparti sans vraiment jouer. C’était cohérent. Sur les côtés, c’est parmi ce qui se fait de mieux en France. Au milieu, Camavinga est resté, malgré les convoitises, et l’attelage avec Steven Nzonzi séduisait en début de championnat. Viennent ensuite les débats Édouard Mendy-Alfred Gomis, Jérémy Doku et Serhou Guirassy. Pour le premier, je pense que Rennes a fait du mieux possible. Le club n’avait que quelques jours pour se retourner sur un marché où il ne restait guère de possibilités. Ils ne pouvaient pas dire non à l’offre de Chelsea, tant pour l’importance du chèque que vis-à-vis du joueur. Pour Mendy, c’était une opportunité impossible à refuser. Dire qu’ils ont surpayé Alfred Gomis, oui, mais il faut tenir compte du contexte : la rareté a permis à Dijon de faire une belle opération. Concernant Jérémy Doku, il ne faut pas oublier qu’on parle d’un jeune de 18 ans. Il a une marge de progression énorme et comment peut-on lui demander d’être le taulier d’entrée de jeu ? Le départ de Raphinha a laissé des regrets mais il faut reconnaître que le Brésilien, aujourd’hui brillant à Leeds, n’était pas aussi régulier, loin s’en faut, à Rennes. Enfin, il y a le cas Serhou Guirassy. Pour en avoir souvent discuté avec Mathieu Bodmer et Christophe Jallet, qui l’ont côtoyé à Amiens, je peux assurer que c’est un très bon, avec des qualités aussi intéressantes que celle de M’Baye Niang qui voulait de toute façon partir. Nayef Aguerd et Martin Terrier, enfin, c’est intéressant et pour du long terme. Sincèrement, je ne juge pas ce mercato mauvais et à moyen terme, je suis convaincu qu’il paiera.
Avez-vous vu des signes avant-coureurs qui annonçaient la décision de Julien Stéphan et quel bilan tirez-vous de son passage ?
David Berger : J’étais présent pour commenter Rennes-Nice et lors de la reconnaissance terrain, j’étais sur la pelouse, comme à chaque journée. D’habitude, il ne venait pas me voir mais cette fois-ci, il l’a fait. Croyez-moi ou non, puisque je raconte cela après, mais j’ai senti qu’il n’était pas comme d’habitude. Très avenant mais aussi tendu. Il avait la mâchoire serrée, j’ai senti qu’il n’était pas bien. Je lui ai demandé si la période était semblable à celle qu’il avait vécue il y a trois mois, il m’a répondu que c’était différent et pire. Je ne l’avais jamais vu ainsi. Et ce n’était pas mieux du côté de Florian Maurice et Nicolas Holveck. En face, côté niçois, je sentais aussi le stress et la tension, à cause de la mauvaise série en cours, mais il y avait beaucoup plus d’union. Après, sincèrement, je n’imaginais pas, même après l’interview d’après-match, ce qui allait se passer les jours suivants… Quand j’ai croisé de nouveau Florian Maurice, que je connais depuis longtemps, avant Lyon-Rennes, il m’a confié qu’il n’avait pas du tout vu venir cette décision et que c’était un vrai coup dur pour le projet rennais. En général, on n’imagine pas une démission. C’est plutôt rare.
La comprenez-vous ?
David Berger : L’issue de son aventure en rouge et noir ne change rien, Julien Stéphan a réussi son passage au Stade Rennais où il a performé, à la formation puis à la tête de l’équipe première. Tout est allé vite, dans sa carrière : il a arrêté de jouer tôt, il est devenu rapidement coach, il est arrivé jeune à la tête d’une équipe professionnelle. Ce qu’il a fait en deux ans reste exceptionnel en termes de résultats. Personne avant lui, au Stade Rennais, n’avait réussi à gagner la Coupe de France, à emmener l’équipe en Ligue des champions et à déclencher une vraie folie. Il a offert un écho national, voire plus aux prestations de son équipe. Je le voyais, comme beaucoup, comme un Arsène Wenger local, s’inscrivant dans la durée. C’est là-dessus que je m’interroge. On le savait usé par les conflits avec la présidence précédente. Peut-être était-il usé, également, après avoir cherché des solutions avec son groupe mais il avait la confiance du propriétaire, de ses dirigeants. Son intérêt personnel – préserver son image – est-il la source de motivation première de son départ ? Je n’en sais rien. Mais je ne vois pas comment il aurait pu être à bout dans un club où il avait la confiance de tous et l’amour du public. Peut-être est-ce un péché de jeunesse ou d’orgueil. Personne ne le sait mais j’imaginais une autre fin. Malgré tout, il rebondira, il a le talent pour. Celui-ci ne peut pas se limiter à l’endroit où il est né.
Julien Brun : Ne voyons pas de cynisme là où il n’y en a peut-être aucun. Le fait qu’il démissionne est surprenant, bien sûr, et certains y verront une manipulation, une manœuvre pour garder son image intacte. Rien ne le prouve. Je pensais, pour ma part, qu’il avait suffisamment de poids en interne pour rester et attendre la fin de saison « sereinement ». Peut-être n’avait-il plus les clés et les solutions, comme il l’a expliqué. De toute façon, un entraîneur qui a de mauvais résultats aura toujours tort au moment de prendre une décision, qu’il reste ou qu’il parte. Je le connais peu mais à mes yeux, démissionner ainsi témoigne d’un certain courage. Pour ceux qui pensent à l’image que Julien Stéphan voulait soi-disant soigner, rien ne prouve que cette décision soit particulièrement vendeuse auprès d’un futur employeur. Son ego ? Tous les grands entraîneurs en ont et ce n’est pas un défaut ou un gros mot. Personne ne reproche à Marcelo Bielsa d’en avoir, par exemple. Peut-être qu’à court de solutions ou avec un ressort cassé, il a préféré partir, vidé et usé par une saison qui, ne l’oublions pas, n’est définitivement pas comme les autres.
Bruno Genesio peut-il être l’homme de la situation ?
David Berger : Il a été, à mon avis, trop catalogué par certains comme le petit entraîneur du coin, le Lyonnais avec un brin de condescendance. C’est un technicien qui a obtenu un bilan comptable impressionnant à l’OL où, à mes yeux, il a réussi. Il est aussi très moderne. Il avait demandé à Lyon une armée de préparateurs physiques, une diététicienne et tout un tas de petits détails pour performer, de ceux qui manquent peut-être aujourd’hui à un club comme Rennes. Avec la Chine, il a évolué dans son métier mais également en tant qu’homme, il a pu se régénérer. C’est un mec sain, qui a été sous-estimé et même maltraité par une partie des supporters lyonnais. Injustement à mes yeux. D’ailleurs, quand on interroge Jean-Michel Aulas à son sujet, celui-ci le regrette encore. Le renvoyer a été l’une des pires décisions qu’il a eu à prendre. Sans doute l’a-t-il fait à contrecœur.
Julien Brun : Pour moi, que le directeur sportif choisisse son entraîneur est une bonne chose, cela favorise la cohérence à long terme. C’est un bon choix, probablement motivé par la confiance que s’accordent les deux hommes depuis des années. Quand Genesio a repris Lyon, il y a eu six mois de folie avec du jeu, des résultats et un gros état d’esprit, des joueurs qui le suivaient. C’est une bonne personne qui sait emmener un groupe avec lui. Il est trop tôt, évidemment, pour savoir si ça marchera mais sa personnalité, alliée à la solidité du club breton, peut donner d’excellents résultats. C’est un pragmatique, qui va savoir utiliser les forces mises à sa disposition. Et il redonnera confiance à des joueurs qui n’ont pas tout perdu en deux mois.
Rennes peut-il aller chercher l’Europe sous l’impulsion de son nouveau coach ?
David Berger : Il faut, en tout cas, qu’ils y croient et qu’ils réenclenchent une série positive. Il reste des matches, à eux de forcer leur destin, même si pour moi, ce sera compliqué. Ce que vous me demandez revient à se demander si le 19e sur l’année civile 2021 peut terminer 5e… Pas simple. Aujourd’hui, Rennes vit une fin de cycle, avec pas mal de joueurs qui ne seront sans doute plus là dans trois mois. Reste à savoir quelle sera la fin qu’ils choisiront…
Julien Brun : Il faut remettre une dynamique en route et le faire rapidement. Pour l’Europe, ça paraît aujourd’hui compliqué mais la chance de Rennes, c’est que les équipes classées devant vont probablement connaître un mauvais cycle, elles aussi, d’ici la fin du championnat. Tout va très vite dans le foot, on le vérifie chaque week-end. Le Stade Rennais a montré qu’il fonctionnait par cycles, parfois très négatifs ou très positifs. Et il y a rarement des écarts significatifs au classement.