Travail à l’entraînement : c’est quoi, le problème ?

Les récentes déclarations de Morgan Sanson et Jordan Siebatcheu ou les confidences de François Modesto au sujet de Yann M’Vila interpellent. Les joueurs travaillent-ils assez à l’entraînement en France ? S’ils sont les premiers responsables de leurs performances et de leur investissement au quotidien, cette question n’en soulève-t-elle pas d’autres ?

« Tout se passe sur le terrain et à l’entraînement. Je pense que tout le monde doit se regarder et travailler plus que ça. C’est à l’image de ce qu’on fait au quotidien. » Après la défaite rennaise face à Saint-Étienne le 14 février dernier (0-2), Damien Da Silva pointait, en conférence de presse, les carences de son équipe, stigmatisant les entraînements tout autant que ses performances en compétition. Leur contenu était jugé insuffisant par le joueur mais aussi par son entraîneur (Julien Stéphan), très critique lui aussi. Que doit-on comprendre au travers de cela ? L’intensité et la qualité des entraînements en France doivent-elles être mises en cause ?

Le débat doit être posé au-delà du cas du Stade Rennais, qui n’échappe évidemment pas aux interrogations, avec de vrais arguments, du côté des techniciens comme du côté des joueurs. Ceux-ci, prompts à faire de grands discours hors du cadre des rencontres de Ligue 1, seraient bien inspirés de nous expliquer pourquoi ils « travaillent moins » ou « moins bien » avant de porter les couleurs d’équipes étrangères. Loin de l’Hexagone, on leur demande visiblement plus. Et ils s’exécutent.

Transféré à Aston Villa en janvier dernier, en provenance de Marseille, Morgan Sanson ouvrait le bal des comparaisons, peu flatteuses pour la L1 : « En termes d’intensité, de volume de travail, on est largement au-dessus. Même aux entraînements, c’est un monde à part. Je pensais bien travailler en France mais ici, j’ai été surpris. » En début d’année, Jordan Siebatcheu apportait son propre témoignage, tout aussi éloquent. Longue est la liste des commentaires soulignant les lacunes de la préparation made in France. Quel est le vrai souci ?

« Ici, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes »

Jordan Siebatcheu, prêté aux Young Boys de Berne, en Suisse, avait été recruté par l’ancien président de Rennes, Olivier Létang, avec une réussite toute relative. Début janvier, chez nos confrères de RMC Sport, il s’exprimait sur la possibilité de jouer avec les USA, expliquant qu’il était au top de sa forme (une chose qui s’était rarement produite en Ille-et-Vilaine, avec de multiples pépins physiques). Et ses mots interpellaient. « Quand je suis arrivé ici, j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes durant mes premiers entraînements. Je ne m’attendais pas à une telle dépense d’énergie lors des séances, au niveau des courses, de l’intensité. Ça n’a rien à voir avec ce qui se fait en France. »

OK. Donc, la Suisse serait un vrai pays de football, avec beaucoup plus d’investissement au quotidien et des résultats plus probants ? L’ancien buteur de Reims, qui était loin de tomber dans les pommes dans la verdure de la Piverdière, compte tenu de ses statistiques en rouge et noir, enchaînait : « On s’entraîne le matin du match mais aussi un peu après. On est tous les jours à 100 %. Quand tu rentres chez toi, tu n’as qu’une seule envie : manger et dormir. Je n’ai jamais autant pioncé que depuis que je suis arrivé ici. »

Le staff rennais et son ancien coach apprécieront. Si certains diront que les staffs à l’étranger sont plus étoffés, avec notamment un bataillon de préparateurs physiques, cela n’indique pas nécessairement que la qualité des séances de travail en France est inférieure. Ce que « Pefok » aimait dans celles-ci, c’était… l’ambiance ! « Ce qui m’a aidé à Rennes, c’est que le groupe était incroyable, poursuivait-il. J’étais dans un vestiaire où chacun avait le sourire tous les jours. C’était sans cesse la rigolade. Au Stade Rennais, les joueurs qui ne jouent pas beaucoup tiennent le coup parce que le groupe est vraiment top. Avec mes frérots, Hamari (Traoré), James (Léa Siliki), Faitout (Maouassa), M’Baye (Niang), on se parlait, on se remontait le moral. » Rigoler, se remonter le moral… Si on en croit l’adage, on joue comme on s’entraîne. Donc, avec le moral dans les chaussettes si on n’est pas titulaire ou en prenant les choses avec un minimum de légèreté ? Instructif…

M’Vila n’avait « pas vu (ses) abdos depuis quatre ans »

Dans un autre registre, Yann M’Vila fait fort (et pire). Dans « France Football », François Modesto, responsable de la cellule de recrutement à l’Olympiakos, livrait une anecdote révélatrice sur l’investissement du garçon lors de son passage dans le Forez. En Grèce, l’ancien Vert aurait confié à Modesto qu’il « (n’avait) pas vu (ses) abdos depuis quatre ans ». Éloquent ! On repensait au fameux « Club Med Claquettes Peignoir » évoqué par de nombreux médias au sujet de Saint-Étienne. L’ancien Bastiais ajoutait : « On a quatre préparateurs physiques et un diététicien pour suivre les recrues et faciliter (leur) adaptation. » Pas plus de trois moussakas par jour, interdiction d’utiliser la sauce Tzatziki et un diététicien derrière chaque petit nouveau !

Plus sérieusement, comment tenir de tels propos, s’ils ont bien été tenus, quand on connaît les conditions salariales dont bénéficiait un joueur comme M’Vila à Saint-Étienne ? Que penser du manque d’exigence criant que fait apparaître un tel constat ? Si on en croit ces professionnels, le menu (sans mauvais jeu de mots) des séances programmées au quotidien est au cœur du débat. Tout le monde ne formule pas les mêmes critiques, de manière directe ou indirecte. Et heureusement. Car rejeter la faute sur son staff ou son championnat semble un poil trop facile.

Le joueur a une responsabilité, évidente, par rapport au maillot, par rapport à son employeur, par rapport à ses supporters, mais aussi vis-à-vis de lui-même. Sans celle-ci, Cristiano Ronaldo ne serait jamais devenu Cristiano Ronaldo, il aurait peut-être simplement été Antonio Cassano ou Mario Balotelli. On ne marque pas l’histoire de son sport ou de son club sans en faire plus que les autres. Parfois beaucoup plus.

De plus en plus de préparateurs physiques personnels

On voit un nombre croissant de joueurs s’attacher les services de préparateurs physiques personnels (à l’image de Gautier Larsonneur ou Brendan Chardonnet à Brest), en complément de ceux déjà présents dans leur club. Est-ce la bonne démarche pour approfondir le travail mis en place ou cela souligne-t-il certaines insuffisances ? La question est posée et elle agace lorsqu’elle est évoquée. Et que dire de l’intégration d’un préparateur mental dans le staff d’une équipe ?

En conférence de presse, quelques minutes avant d’apprendre la démission de son coach, Nicolas Holveck, le président du SRFC, balayait tout cela d’un revers de la main : « La préparation mentale s’effectue tout au long de l’année. Je n’y crois pas sur un événement ponctuel. Si c’était le remède miracle, ça se saurait. L’ajout d’un préparateur mental n’est pas la solution en général. » Dans d’autres pays et d’autres sports, ce poste apparaît pourtant indispensable.

Doit-on regarder plus haut, au niveau des instances et au sein de la Fédération, avec en tête les préceptes qu’elle dispense ? C’est à la base de la pyramide et donc du côté de la Fédé qu’il faut réfléchir. Tout repose sur la politique en matière de travail et d’éducation. Pourquoi ne pas faire évoluer, enfin, des modèles installés depuis longtemps ? Le football doit être capable de s’adapter aux différents profils de joueurs, aux époques, aux mouvances. Il faut aussi valoriser les notions d’effort, de dépassement et d’exigence. On doit évoluer et s’adapter à ceux qui font le football aujourd’hui et qui le feront demain.

Pourquoi les champions du monde évoluent-ils à l’étranger en majorité ?

Est-ce une coïncidence si la grande majorité des champions du monde évoluent à l’étranger ? Pourquoi les plus grands clubs européens viennent-ils chercher en France des garçons de 15 ou 16 ans pour achever leur formation, jusque-là réussie, et en faire de véritables machines, physiques et mentales ? Nos clubs ne sont-ils pas capables d’en faire autant ? Avec l’éclosion d’Eduardo Camavinga, progressive et intelligente, Rennes a montré que la chose était possible. Mais elle est rare. Et pour ceux qui se plaignent du manque de travail en France et qui réussissent ailleurs, combien d’échecs et de retours en Ligue 1, au bout de quelques mois ou de quelques années, la tête basse ?

La réflexion mérite d’être approfondie par les différents acteurs. Frédéric Damato, préparateur mental à Rennes, émettait une hypothèse en s’appuyant sur son expérience auprès des sportifs : « Aujourd’hui, dans le domaine de l’olympisme, la France est classée 10e quand la Grande-Bretagne est seconde. Chez nous, quel que soit le sport, on voit des groupes uniquement constitués des meilleurs, réunis tous ensemble, au niveau d’excellence. Personne n’est moins fort mais personne ne domine non plus. Et surtout, on dit à tous qu’ils sont les meilleurs. Pourquoi, alors, aller chercher plus ? Est-ce cela qui engendre l’absence de dépassement de soi ou une exigence moindre ? Dans d’autres pays, il y a des groupes plus hétérogènes, où les moins bons se surpassent pour titiller les meilleurs. On va en remettre une couche pour creuser ou pour réduire l’écart, au sein même du groupe. Cela ne peut qu’élever le niveau, inévitablement tiré vers le haut, et profiter à l’équipe dans la confrontation avec l’adversaire. » Simple et limpide, la démonstration est plus qu’édifiante.

Un gros travail à l’entraînement et l’amélioration des performances individuelles sont devenus vitaux, essentiels. La valorisation de la Ligue 1, c’est surtout, avant les droits télé et les millions d’euros qui obnubilent nombre de dirigeants, la formation des joueurs et des hommes. C’est elle qui garantira, à terme, la qualité du spectacle proposé, dont dépendent les retombées financières. Un plein investissement et une exigence de tous les instants sont requis, à tous les niveaux. Chez les joueurs, dans les staffs et jusqu’aux agents, dirigeants et actionnaires.

En cas de mauvaises performances, un joueur et un coach se retrouvent facilement sur la touche. On ne peut pas tout résoudre avec un transfert ou un licenciement. Les décideurs du football ne doivent pas se sentir dispensés de réfléchir à ce problème très concret, qui ne pourra être masqué éternellement par les résultats positifs de l’équipe nationale (une sélection dont la majorité des joueurs ont progressé en évoluant dans les championnats étrangers). Les victoires endorment les consciences, imposant la conviction que l’on a raison. La preuve, c’est le résultat brut. Mais le réveil pourrait être brutal si les témoignages des joueurs eux-mêmes ne provoquent pas une remise en cause. Bien sûr, ces déclarations se font souvent à un moment où l’on peut bomber le torse. Elles ne sont toutefois pas faites pour créer le buzz. Elle révèlent l’existence d’un véritable problème. Y réfléchir et y remédier améliorera le contenu des entraînements. Et tout le monde y gagnera.