Il s’agit de ne pas se mentir. Au moment du Rennes-Strasbourg d’il y a un mois, nous n’étions pas foule, presse comme supporters, à imaginer le Stade Rennais cinquième de Ligue 1 aujourd’hui avec Habib Beye à sa tête. Mea culpa pour nous, le coach ayant renversé la table avec un coup de poker aussi audacieux que risqué. Un « All-in » qui a de quoi mettre tout le monde d’accord, pour le moment. Décryptage !
Des choix forts sans concession
Le foot n’échappe pas à la règle de l’entreprise, avec des hiérarchies, des cadres, des statuts parfois compliqués à bouger. Le foot n’est pourtant pas une entreprise comme les autres même si, jusqu’à preuve du contraire, un entraîneur demeure « au-dessus » des joueurs, peu importe leur importance dans le vestiaire ou dans la grille des salaires. Cela, Habib Beye le sait et n’a ainsi pas hésité à bousculer sa composition d’équipe.
Ainsi, le plus gros salaire du club, Seko Fofana, recruté en grandes pompes en janvier dernier, se retrouve bouté hors du onze de départ et envoyé sur le banc (et même laissé à Rennes avant le déplacement à Toulouse !), remplacé dans l’entrejeu par Djaoui Cissé, grand espoir du club. Un choix courageux, osé, sans doute peu goûté par l’international ivoirien mais logique au vu des faits d’armes du joueur, à des années de son niveau lensois. Actuellement blessé, le joueur est déjà évoqué parmi les candidats à un départ au mercato d’hiver, le trio Cissé-Rongier-Camara semblant actuellement peu discutable.
Autre recrue phare du mercato d’hiver dernier et d’Arnaud Pouille : Anthony Rouault, en difficulté depuis le début de saison, est sorti au profit de Lilian Brassier, pourtant loin d’être irrésistible depuis la reprise. Alidu Seidu, plutôt fringant quand l’équipe n’allait vraiment pas bien, comme la saison passée avant sa blessure, a regagné le banc, Abdelhamid Aït-Boudlal affichant une constance et une progression ne laissant pas de place au débat.
Pas de place pour les passe-droits
Recruté cet été avec Valentin Rongier, Quentin Merlin regagne lui aussi le box des remplaçants, son apport côté gauche dans le rôle de piston n’étant pas la hauteur des attentes du coach rennais. Place à Musa Al-Tamari, à la base pur attaquant, sur le rôle de latéral gauche. Devant, Breel Embolo, également classé parmi les « grosses recrues », a aussi quitté le onze de départ durant plusieurs matchs avant de revenir et d’apporter enfin le rendement attendu dans une rotation très intéressante avec Kader Meité.
Dernière « victime » du remaniement automnal, Ludovic Blas, hier titulaire indiscutable aujourd’hui réduit à être « finisher » sur les trente dernières minutes et même laissé à Rennes pour manque d’implication avant le match couperet de Toulouse fin octobre. Pas de place donc pour les passe-droits avec le coach Beye et une concurrence accrue, bien que le onze de départ n’ait que très peu bougé en novembre : tel est le bilan d’un mois dont la vérité sera maintenue tant que les résultats seront au rendez-vous, à n’en pas douter. Mais gare à tout relâchement, chacun sait désormais à quoi s’en tenir…

Une obstination tactique risquée mais payante
Il aurait pu, à de multiples occasions, tout changer. Il l’a même fait, en cours de match, repassant à quatre derrière, avec parfois du succès, parfois non. Toujours est-il qu’Habib Beye ne s’est jamais renié tactiquement, n’hésitant jamais à faire démonstration de ses idées et de leur bien-fondé. Le fameux 3-4-3, 3-5-2 ou 5-3-2 en fonction des moments et des interprétations, est LA tactique du coach sénégalais, adaptable au gré des circonstances.
Pas toujours spectaculaire, pas toujours fiable non plus, cette fameuse option trouve, depuis un moment, enfin écho dans la solidité défensive (deux buts encaissés en quatre matchs seulement) et panache sur l’aspect offensif (10 buts inscrits). Les hommes faisant l’animation, on ne peut occulter la part prise dans la réussite du système par des joueurs recrutés pour jouer ainsi. Les résultats amenant la confiance et quelques certitudes, le système parait plus stable.
Devant, la complémentarité entre Breel Embolo et Estéban Lepaul s’affine
Et l’apport de la jeunesse au travers du duo Aït-Boudlal-Jacquet derrière et de la paire Camara-Rongier au milieu sécurise un ensemble qui peut en plus exploiter les qualités de Przemysław Frankowski et Musa Al-Tamari dans le couloir avec plus de régularité et d’impact. La liaison de ce dernier avec Djaoui Cissé est aussi forcément une trouvaille du coach qui a clairement mis son empreinte sur une équipe qu’il a imaginée ainsi depuis juillet sans trouver de suite récompense à ses idées.
Devant, la complémentarité entre Breel Embolo et Estéban Lepaul s’affine, semaine après semaine, avec l’option Kader Meïté toujours aussi séduisante en réserve. Reste à savoir si dans la durée, l’attelage tiendra bon, la débauche d’énergie demandée étant importante et les rotations sur les postes clés pas si évidentes…
Une communication assumée
Si le microcosme football recèle de victimisation à tous les étages, Habib Beye peut lui, légitimement, ressentir un délit de « sale gueule » et un jugement permanent relativement dur à son égard, et très souvent injustifié. Oui, l’homme parle beaucoup, il dérange assurément, par son phrasé, une attitude dite hautaine qui reste à prouver et perd parfois son auditoire dans de longues tirades tactiques.
Certes mais quand Marcelo Bielsa hier ou Luis Enrique aujourd’hui le font, pour finalement parler du même sport, beaucoup trouvent cela génial, quand Habib Beye, lui, ne sera pas pris au sérieux de la même manière. Pourquoi ? Le garçon sait évidemment ce qu’il dit, maîtrise parfaitement ce qu’il fait mais paie incontestablement son passé de consultant chez Canal +, où ses avis tranchés en ont sans doute blessé quelques-uns ou irrité quelques autres.
Arrogant, passionnant, déroutant ?
Son passé de « Marseillais » n’est pas non plus toujours apprécié de la grande presse parisienne et « s’offrir » Habib Beye relève plus d’animosité ou de jalousies que d’une réelle discussion sur le fond des propos du coach rennais. Droit dans ses bottes, l’homme doit sans doute s’en amuser, ayant aussi ses relais et soutiens dans la sphère médiatique mais étant surtout focus sur son équipe et l’évolution qu’il veut lui offrir.
Toujours prompt à couvrir ses joueurs, à détailler, à expliquer, il peut agacer parfois un peu fatiguer mais reste surtout disponible, ouvert et passionné d’un sport qu’il maîtrise à l’évidence sur le bout des doigts. Arrogant, passionnant, déroutant ? C’est au choix… Pas certain que cela ne produise le moindre effet sur un entraîneur qui sait où il va.

Des individualités en net progrès
Un collectif, oui, un projet de jeu, immuable bien que contesté et de la personnalité, c’est un peu de la patte Habib Beye. Mais sans ses individualités, le coach ne peut avoir les résultats. Et celles-ci, petit à petit, se mettent les unes après les autres au diapason. Rennes est ambitieux et cela exige des performances et plusieurs joueurs ont clairement haussé le curseur depuis un mois.
En grande difficulté au démarrage de la saison, la faute à une préparation tronquée, Djaoui Cissé retrouve le chemin de la forme, tandis que Mahdi Camara est sérieusement monté en régime depuis un mois, inscrivant même son premier but contre Monaco, avec une passe décisive et un pénalty provoqué en plus ! Valentin Rongier répond aux attentes, sans surprise et avec efficacité, tandis que Jérémy Jacquet confirme son immense potentiel, après un début d’automne plus difficile.
Seulement battu deux fois en quatorze matchs
Que dire, enfin, de l’explosion d’Abdelhamid Aït-Boudlal, impressionnant de sérénité et de technique ? Et que penser de l’efficacité d’Estéban Lepaul, véritable renard des surfaces, mis en valeur par le travail de plus en plus précieux de Breel Embolo ? Avec autant de satisfactions individuelles, même si la régularité reste à affirmer, le beau temps se dégage au-dessus du paper-board d’un coach dont le pari jeunesse paie.
Terminez enfin avec la trouvaille Musa Al-Tamari en piston gauche et l’impeccable Brice Samba dans les buts, déjà crédité de plusieurs points cette saison à lui tout seul et confirmation est donnée qu’avec ses individualités en forme, voire au top, en même temps, ce Stade Rennais là, seulement battu deux fois en quatorze matchs, aura son mot à dire pour retrouver la scène européenne et ce avec un coach pour qui beaucoup imaginaient déjà un retour à Canal + début novembre dernier. Qu’on se le dise définitivement en football, tout va très vite…




