Dans le cadre cosy et élégant de la cave à vin du Comptoir, entouré de bouteilles d’exception, Gino Nunes, 26 ans, s’est ouvert avec sincérité et pudeur. Aux rênes du Comptoir Vénitien de Vezin-Le Coquet, dont il est le directeur de salle depuis un an et demi, il livre son parcours, non sans embûches, entre résilience, travail et abnégation, sur un chemin où les rencontres ont changé l’histoire.
Du cuisinier au serveur, en passant par le chef de rang comme le directeur, un restaurant, c’est aussi une équipe. Quelle est votre tactique pour réussir ?
Le rôle de chacun est primordial. La réussite ne peut être que collective et tout le monde va dans le même sens. C’est aussi mon rôle d’impulser la dynamique et l’envie, et de faire que chacun se sente bien, à sa place. Un restaurant, c’est le partage, le plaisir de manger et de prendre le temps de rester autour de la table, d’être ensemble. Au sein de l’équipe, il doit aussi y avoir cette envie d’avancer les uns avec les autres.
En quoi consiste votre rôle de directeur ?
Quand Yann Paigier m’a confié ce poste, j’ai aussi endossé plus de responsabilités, avec des directives à donner, le devoir de valoriser les autres, de créer une dynamique et d’emmener tout le monde avec moi. Ce rôle, c’est ne plus bosser pour soi mais pour une équipe, être disponible, à l’écoute et pouvoir donner des réponses en étant sûr de son fait. J’ai toujours la soif d’apprendre, de progresser, par exemple sur le côté cuisine où j’aimerais me former. Je veux être digne de la confiance placée en moi par toute l’équipe. Il y a aussi la partie administrative qui m’intéresse beaucoup : j’aime comprendre le fonctionnement de l’établissement de A à Z.
« Ma mère me payait en donuts »
Votre jeunesse interpelle mais votre arrivée à la direction du comptoir est un cheminement logique. Votre rencontre avec la restauration était-elle une évidence ?
J’ai connu pas mal d’étapes et d’épreuves pour arriver à faire ma place dans ce monde que j’ai toujours côtoyé. Mon père a été barman avant de devenir maçon et ma maman avait son restaurant dans Rennes. J’allais souvent donner un coup de main, gamin, et je me souviens qu’elle me « payait » en donuts ! (rires).
J’ai tout de suite aimé parler aux clients, rencontrer des gens que je n’aurais jamais croisé dans un autre cadre et c’est toujours le cas aujourd’hui. Ce métier, ce sont des rencontres, du lien, de l’humain. Pour moi, tout s’est décidé lors de mon stage en cinquième. C’était en 2013, j’étais en section SEGPA, avec des difficultés, j’avais le “combo” dyslexie, bégaiement et tout ce que vous voulez. Puis une rencontre à tout changé…
Cette rencontre, c’est celle faite avec Yann Paigier, patron de « Felix » et « Léon le cochon » à l’époque, qui vous prend en stage ?
La première rencontre avec Yann, je m’en souviens comme si c’était hier. Il est arrivé avec un grand manteau, il était impressionnant et j’ai bafouillé, en mangeant mes mots et en disant « Je suis en stage, d’hier… » au lieu de « Je suis le stagiaire ». Il avait répondu en me taquinant mais pour autant, il m’a ouvert les portes d’un monde où j’avais tout à apprendre.
Je m’y suis tout de suite senti comme un poisson dans l’eau. Autant à l’école c’était compliqué pour moi, autant là, en salle, tout était différent. Je devenais un autre, avec une soif d’apprendre. Il a toujours dit que le restaurant était sa scène de théâtre et j’ai eu envie de le suivre dans cette idée du métier. Cela fait treize ans déjà que nous ne nous sommes plus quittés !
Votre relation semble forte et aller au-delà du service et de la salle…
C’est vrai, oui. Il est comme un papa dans le monde professionnel, m’a donné de son temps, m’a appris le métier, l’art de la table mais aussi, l’humain, le service au service du client. Il est très exigeant, avec lui-même déjà, mais fait de cela une arme pour réussir. C’est une force. Il est aussi très humain et a toujours été là dans les moments joyeux comme difficiles.
Je n’oublierai jamais sa présence aux obsèques de mon grand-père, qui était très important pour moi. Ça m’a touché, et cela reste gravé à vie. Pour autant, je le vouvoie toujours, question de respect. J’ai aussi toujours vouvoyé mes grands-parents paternels et ça n’a jamais empêché la relation d’être forte. Aujourd’hui, je peux dire que Yann fait partie de ma famille.
Une fois ce stage vécu et cette révélation, quel a été votre parcours ?
J’ai terminé le collège en section EREA, des classes réduites où des éducateurs nous accompagnent. A la sortie, je me suis orienté vers un CAP CHR (Café, Hôtel, Restaurant) à Redon, au Lycée Jean Barth. Je l’ai validé en deux ans, avec une deuxième année où j’ai vraiment commencé à travailler dur sur le scolaire pour atteindre une moyenne de 18, du jamais vu pour moi ! En parallèle, je continuais mes stages chez «Félix» ou à «Léon». A la sortie, on m’a orienté pour la première fois de ma vie vers la voie générale, avec un Bac Pro hôtellerie.
Vous qui aviez eu des difficultés avec l’école, voilà un beau défi…
Nous avons relevé le challenge avec maman. A l’époque, elle a choisi un lycée privé à la Guerche mais m’a dit : « Je vais payer le lycée. Si tu arrives à avoir ton Bac, je paie, si tu échoues, tu rembourses ! » Je ne l’ai jamais oublié et nous avons pleuré ensemble de joie le samedi matin des résultats, quand j’avais ce fameux Bac. J’ai appelé Yann dans la foulée pour lui dire que j’avais mon permis, mon diplôme et que j’étais disponible. Un mois plus tard, c’était parti, pour de bon !
Vous parlez beaucoup de votre maman, qui occupe une place centrale dans votre réussite…
J’en suis très proche, nous avons traversé beaucoup d’épreuves ensemble. J’avais dix ans quand mes parents se sont séparés pour de bon et ma grande sœur Priscilla s’est occupée de me faire grandir. Tout cela m’a impacté. Je suis très attaché à la famille mais aussi à mes origines italiennes par ma maman et surtout portugaises par mon père.
Nous sommes allés très longtemps au Portugal chaque été, je me retrouve et me reconnais dans cette culture autour du partage. Dans la petite ville où je vais, près de Porto, on ne sert pas des assiettes individuelles mais un plat, où chacun mange. Cela révèle un certain état d’esprit qui colle à mes valeurs.
Que diriez-vous aux adolescents aujourd’hui en difficulté, comme vous l’avez été il y a plus de dix ans, pour leur offrir espoir et ambition ?
Rien n’est impossible mais il faut se battre, surtout avec des vents contraires. Il ne faut pas avoir peur de l’inconnu et je reste convaincu qu’il vaut mieux être à 100 % sur un sujet qu’à 20 sur plusieurs à la fois. On ne peut pas être partout, à fond, il faut choisir et faire. Aujourd’hui, j’ai envie de rendre ce qui m’a été donné, de tendre la main comme je l’ai fait à des élèves de classes spécialisées, c’est la moindre des choses. Ce temps que l’on m’a donné, ces choses que l’on m’a apprises, c’est à moi désormais de les transmettre à mon tour. Et il n’y a pas d’âge pour cela.
Article extrait du JRS d’octobre




