Le temps passe vite et cette année, Cyril Jeunechamp, rennais de 2002 à 2007, fête ses… 50 ans ! Un demi-siècle avec de nombreuses années dans le foot, dont cinq en Bretagne restées inoubliables. Aujourd’hui entraîneur adjoint de la réserve de l’AJ Auxerre aux côtés de Sébastien Puygrenier, il nous ouvre le livre de souvenirs où le Stade Rennais occupe définitivement une place à part.
Alors que votre club, Auxerre, se rend au Roazhon Park à la mi-octobre, comment jugez-vous le début de saison rennais et le potentiel 2025-26 de l’équipe ?
Ce qu’ils ont montré face à Marseille ou Lyon, question état d’esprit, est très intéressant et prouve les ressources de ce groupe. Il y a beaucoup de qualité, c’est évident mais il y a surtout à sa tête un excellent entraîneur en la personne d’Habib (Beye), que je connais bien. Aujourd’hui, on constate qu’il fait exactement ce qu’il préconisait quand il était consultant.
J’aime beaucoup sa vision, sa pédagogie, on sent chez lui la passion mais aussi le travail, la compétence et le vécu. Il a aussi une aura, sait s’exprimer et je suis convaincu qu’il a tout pour réussir à Rennes. Si le club lui laisse du temps et se montre patient, en lui faisant confiance pour construire, je n’ai aucun doute pour la réussite et le retour au premier plan du club. Bon après, si possible après notre venue… (rires) !
Aujourd’hui à Auxerre, quelles sont vos missions et votre vision du métier d’entraîneur adjoint ?
Avant d’être entraîneur, nous sommes des éducateurs, au contact des jeunes. L’objectif à trois ans est simple, à savoir remettre la formation en avant et amener un maximum de jeunes jusqu’à notre équipe première. Cela est une question de conjoncture économique, de survie mais aussi d’ADN du club. On forme des joueurs mais aussi des hommes, il faut les comprendre, être connectés à leur fonctionnement, leurs codes, même si cela n’est pas toujours facile et très différent de ce que l’on a connu vingt ans plus tôt, à beaucoup d’égards…
Lesquels ?
L’entourage a beaucoup changé et il y a l’avènement des réseaux sociaux. Cela change tout, comme l’environnement autour des joueurs, qui rend tout compliqué. Quand il y a plusieurs discours, plus ou moins influents et légitimes, qui viennent s’entrechoquer avec ceux de l’éducateur, ce n’est vraiment pas simple. A l’époque, nous étions jugés par les journalistes, on pouvait parler, s’engueuler, discuter mais nous n’étions pas jugés publiquement par tous, derrière l’anonymat des réseaux sociaux sans possibilité de réponse, surexposés…
Après, je dis souvent qu’il suffit d’éteindre le portable pour que le problème n’existe plus. Après, il n’y a pas que cela, l’auto-critique est devenue compliquée, de par tout ce que l’on évoque et l’aspect mental est primordial. A Lyon par exemple, il y a un préparateur mental par équipe et par catégorie. Ce poste est devenu primordial et le sera de plus en plus.

Rester au contact des jeunes, dans le foot, est-il aussi un moyen de vieillir moins vite ?
Je vieillis comme tout le monde, comme vous, mais j’essaie de rester frais dans la tête et le contact avec nos jeunes est primordial. Le foot, c’est ma passion, une grande partie de ma vie. Continuer d’y évoluer, vivre cette transmission, c’est une chance que je savoure au jour le jour. Peu importe l’âge pour ça…
« Avec Lazlö, nous nous sommes bien chauffés mais il a été aussi là dans des moments très durs pour moi. Ça, je ne l’oublierai pas… »
Il y a 23 ans, vous arriviez au Stade Rennais. Quels sont les images qui vous viennent instantanément ?
Avant tout, la Piverdière. J’arrivais de Bastia, après avoir connu Auxerre et clairement, je passais dans la dimension du dessus. Les installations, l’état d’esprit autour du club et l’ambition de le faire grandir, il y avait tout ! Je me souviens aussi évidemment, de suite, du kop, avec qui j’ai toujours eu une relation privilégiée. Ici, j’ai tout aimé.
Ces cinq années-là sont les plus belles de ma carrière à égalité avec mon passage à Auxerre, qui m’a permis de devenir pro. Ma deuxième fille, Louane, est née à Rennes et un bout de mon cœur est resté breton et le restera. J’aime la fierté, l’appartenance au territoire des gens d’ici, leur valeurs. J’ai toujours tout donné pour ce maillot, me suis mis minable et je crois que les supporters, les gens, me l’ont rendu au-delà de toute attente y compris quand je suis revenu plus tard avec d’autres maillots…
On sent que l’humain est au cœur de votre vie, de vos souvenirs et de vos émotions. C’est aussi le cas lorsque l’on évoque le Stade Rennais ?
Bien sûr. Les victoires, les matchs, c’est une chose mais ça défile alors que l’humain, les rencontres, cela reste. De Rennes, j’ai gardé plein de collègues que j’ai toujours eu un plaisir à retrouver. Les liens sont là avec Étienne Didot, Yoann Gourcuff, Olivier Sorlin, Alex Frei, Olivier Monterubio ou Abdes Ouaddou pour ne citer qu’eux. Nous avons vécu tellement de bons moments, sur et en dehors du terrain, les entraînements où les vaincus devaient payer les pizzas aux autres, certains retours de match, la victoire contre l’OM 4-3 avec les quatre buts d’Alex (Frei).
Il y a aussi eu le staff médical qui a été extraordinaire à mes côtés lors de mes deux grosses blessures. Je n’ai jamais pu leur dire merci alors j’en profite, et je salue Yannick Logeais, Christian Schmidt, le doc et Pierre Dréossi, qui avait tout fait pour que je sois accompagné sans avoir à faire mes convalescences loin de Rennes. Hors terrain, j’ai aussi une grosse pensée pour mes voisins de l’époque à Bruz, Claude Moquet et Véro, sa femme, malheureusement disparue il y a deux mois. Ces gens-là font partie de mon histoire, à vie.
Les coachs du Stade Rennais vous ont aussi forcément marqué ?
Bien sûr ! Vahid, il m’a recruté, il était là pour sauver une situation très mal engagée et il a réussi sa mission. C’est vrai que ça ne rigolait pas mais il nous a remis à l’endroit. Avec Lazlö, c’était aussi à la dure, mais un peu différent. Je me suis bien attrapé avec lui, bien chauffé mais à côté de cela, je n’oublierai jamais qu’il a été là à mes côtés, jusqu’à trois heures du matin, quand j’attendais un diagnostic très important pour la santé de ma petite sœur.
Oui, il était là, et ça, je ne l’oublierai pas et je le remercie aujourd’hui, car je n’ai jamais eu l’occasion de le faire. Pierre (Dréossi), je l’ai eu comme manager puis coach. A la fin, il préférait faire jouer Erik Edman, c’est comme ça. Notre relation était franche et il a tout fait pour que les choses se passent bien.
Si j’étais resté un joueur influent, avec du temps de jeu, j’aurais volontiers fait toute ma carrière à Rennes et je ne serais jamais parti mais les choix de Pierre associés à mon besoin de me rapprocher du sud et de ma sœur, alors malade (ndlr : elle est décédée en 2010 d’une leucémie), m’ont logiquement amené à quitter le club et à rejoindre Nice puis ensuite, Montpellier.

« Avec Yo’ (Gourcuff), le football français est passé à côté d’un très grand joueur… »
Il y a l’humain mais aussi le terrain. Quels ont été vos tout meilleurs coéquipiers en « Rouge et Noir » ?
Il y a eu pas mal de bons joueurs, non ? Mais au-dessus du lot, je mettrais Yo Gourcuff, un talent brut, qui voyait et faisait tout plus vite que tout le monde, dès son arrivée dans le groupe. Pour moi, le football français, parce qu’il n’a pas cherché à connaître mieux l’homme, est passé à côté d’un très grand joueur. Quand on le connaît, qu’il est en confiance, il est très loin de l’image qui lui a été collée…
J’ai toujours eu la rage en entendant ce que j’ai pu entendre sur Yoann, qui est un mec en or, et qui était un footballeur incroyable. Etienne Didot aussi, dans son intelligence de jeu, c’était fou. Ensuite, je peux en citer énormément, et je pense bien sûr à Alex Frei, « Rubio », Kim Källstrom, une force de la nature ou Petr Cech, très fort dès son arrivée. J’ai été plutôt bien entouré !
Etes-vous agacé d’être souvent résumé, quand on vous évoque, à un joueur qui prenait des cartons, agressif voire violent ?
Des cartons, j’en ai pris pas mal, c’est vrai (rires) ! Cela faisait partie de moi, j’ai toujours été ce mec agressif, parfois à la limite mais je n’ai jamais blessé personne ou cassé une jambe, ça non ! J’avais besoin, je pense, de cet investissement total, qui virait parfois au trop et pouvait déborder. Le défi avec mon adversaire, c’était indispensable. Je voulais qu’il sente que pour me passer, il allait falloir me monter dessus mais pour autant, je n’étais pas non plus à insulter ou provoquer verbalement en permanence.
Si je ne m’étais reposé que sur mes qualités de footballeur, soyons clair, je n’aurais jamais fait cette carrière. Ce caractère, ce mental, c’était le plus que je pouvais apporter, donner à mon équipe. J’ai tout donné pour tous les maillots que j’ai portés, je n’ai jamais triché. J’avais besoin de ce rapport de force. J’étais un joueur moyen techniquement, même si je savais faire deux ou trois bricoles mais j’ai pu être un bon joueur, par moments, avec une belle petite carrière grâce à ce caractère, j’en suis convaincu.
Un mental qui vous a aussi fait porter à 57 reprises le brassard de capitaine à Rennes. Le saviez-vous ?
Sincèrement, vous m’apprenez cette stat et elle veut dire quelque chose à mes yeux. Elle représente surtout la récompense du travail, de l’abnégation et l’investissement total, parfois excessif, mis dans chacun de mes matchs, même si tout n’était pas parfait loin de là. Quand on ne triche pas, souvent, cela paie, d’une manière ou d’une autre.
Vous êtes rentrés dans le club où vous avez explosé, Auxerre, mais même depuis la Bourgogne, qu’avez-vous encore avec vous de Rennes, au quotidien ?
L’amour d’un club et de ses supporters, je pense, et c’est réciproque. J’aime sincèrement ce club et lui souhaite le meilleur et cette ville restera toujours à part dans ma vie, comme la région, que j’ai appris à aimer au point de pleurer quand il a fallu partir. J’ai aussi gardé le beurre salé, qui est désormais l’unique option dans la famille Jeunechamp, même avec du sucré. Aucun débat n’est possible !
