CPB Hand : Cléopatre Darleux : « Pour réussir, il faut travailler plus que les autres »

Entretien avec Cléopatre Darleux.
Cléopatre Darleux, toute jeune retraitée, nous a accordé un long entretien, passionnant et inspirant. @Crédit photo : PR PHOTOGRAPHIE 35

C’est une championne olympique et un nom qui compte dans le sport français qui a fait escale à Géniaux, à l’occasion du Sandball. Offrant pour l’occasion un temps d’échange avec les jeunes rennais mais aussi une conférence face aux partenaires du CPB Handball, la toute jeune retraitée des terrains nous a accordé un long entretien, passionnant et inspirant.

Après une dernière danse très réussie ponctuée par un titre de meilleure joueuse du championnat LBE, dans quel état es-tu quelques semaines après avoir annoncé ta retraite ?

Je me sens très bien. C’était le bon moment. J’ai adoré cette dernière année. Mon but était de jouer la Ligue des Champions, j’ai besoin de cette adrénaline, du plus  haut niveau et même si nous ne l’avons pas gagnée, ce fut une année très réussie. Après dix neuf années chez les pros, je sens que je ne peux désormais pas faire mieux ou plus que ce que j’ai vécu.

Je suis rassasiée, comblée par ce que le handball m’a offert mais aussi ravie de pouvoir désormais me tourner vers d’autres projets. Je vais ainsi démarrer une formation à Limoges dans le management du sport.

Qu’as-tu le plus aimé dans ta carrière et qu’est-ce qui, demain, pourrais-te manquer ?

Me manquer, sincèrement, je ne sais pas car comme je le dis, j’ai ce sentiment d’avoir eu tout ce que je pouvais avoir, y compris un magnifique happy-end à Metz. Après, au-delà du titre Olympique, de l’équipe de France, de mes dix années à Brest, j’ai tout kiffé dans le handball. Les déplacements en bus, l’entraînement où l’on se dépasse, où on se met minable, la passion des supporters dans les salles, les villes visitées… Je n’ai jamais été la numéro 1 quand j’étais plus jeune mais j’ai toujours beaucoup travaillé, rajouté des séances, été chercher plus loin pour obtenir le meilleur de ce que je pouvais obtenir.

Quels conseils donnerais-tu aujourd’hui aux jeunes qui débutent et rêvent d’une carrière similaire à la tienne ?

De refuser l’assistanat, de voir plus loin que ce qui nous est donné. Pour réussir, gagner, il faut travailler, beaucoup et plus que les autres. Le talent ne suffit pas et l’histoire du sport l’a toujours prouvé. L’exigence, le courage et l’abnégation, alliés au désir de se dépasser, sont les clés. Sans travail, un don ne sert à rien. La détermination décide de tout et multiplie forcément les chances d’aller au bout et même au-delà de ses possibilités.

C’est aussi ce qui permet de franchir les épreuves et étapes importantes de vie, de celles qui peuvent remettre en cause une carrière : une grossesse, une blessure, des commotions…

Je suis passée par plusieurs moments qui ont mis ma carrière entre parenthèses voire en suspens… Il y a eu l’arrivée de ma fille et sincèrement, je pense que je n’ai jamais été aussi performante qu’à mon retour après sa naissance. Physiquement, mentalement, j’étais à mon maximum, avec un état d’esprit totalement changé.

Devenir parent permet aussi de prendre de la hauteur, du recul, tout ne tourne plus autour de soi et de la performance. Que tu aies gagné ou perdu, tu rentres après ton match et ton enfant est là, le même avec ses besoins de toi, et c’est bien là l’essentiel. La maternité, qui reste rare au plus haut niveau, permet aussi de profiter plus et mieux des moments pour soi, où tu es à l’entraînement, où tu prends du plaisir à aller à la musculation ou à travailler dur. Cela change la perspective.

Les commotions successives fin 2022 t’ont laissé moins de « beaux souvenirs »…

Ces épreuves m’ont aussi appris beaucoup sur moi. J’ai connu trois commotions successives en une semaine, sur trois matchs différents, les premières de ma carrière, du moins identifiées comme telles… J’aurais dû être arrêtée mais il y a une ignorance sur le sujet qui fait que l’on rejoue. J’avais pourtant des signes qui auraient dû imposer un stop : la tête qui tourne, le téléphone qui fait mal aux yeux mais on m’a dit de ne m’entraîner qu’à 60 %… C’est quoi, 60 % ?

Il aurait fallu être arrêtée dès la première selon toi ?

Avec le recul, c’est plus simple à dire… Malgré les migraines, j’y suis retournée, une fois, deux fois avec la tête qui a tapé le sol le mercredi… Sur le match du samedi, je n’étais vraiment pas bien, je rentre dix minutes à la fin alors que j’avais pris un nouveau ballon à la tête à l’échauffement. Après, il a fallu se résoudre à s’arrêter et cela tombait bien, il y avait une trêve de dix jours. Je me souviens de n’avoir pas pu conduire le lendemain, alors que nous partions en vacances.

C’était la finale de la coupe du monde, France-Argentine et je n’ai même pas pu boire une petite bière… Au retour, j’ai eu un examen mais rien, et j’ai rejoué après les vacances, deux matchs au Danemark. Ca n’allait toujours pas et nouvel arrêt de dix jours… Puis trois mois, après avoir consulté un neurologue. Au final, tout cela a duré près d’un an, j’ai testé pas mal de choses pour soigner tout cela mais le plus important a aussi été d’apprendre à écouter le corps, la tête, oser dire stop quand il le faut, que cela plaise ou non.

Le club ne m’a pas beaucoup accompagnée dans ce moment-là. L’ignorance sur les commotions est un vrai sujet, capital, et il y a encore du travail pour éviter un phénomène dont les conséquences peuvent être dramatiques. J’ai eu pour ma part de la chance, n’ayant aujourd’hui aucune séquelle mais il faut travailler encore et encore pour améliorer la connaissance de tout cela.

« J’avoue me sentir aujourd’hui plus Bretonne que Lorraine »

Comment as-tu réussi à revenir au plus haut niveau, au point de vivre Paris 2024 ? Etait-ce le sommet de ta carrière et l’écrin idéal pour s’arrêter ?

Pour les JO, je me suis entraînée avec le club mais en ajoutant énormément de boulot de mon côté, comme une dingue. J’ai passé seize ans en équipe de France et Olivier Krumbholz m’a appelée pour me demander comment je me sentais… Il me connaît parfaitement, au fil des années, notre relation a pu évoluer et il a considéré que mon expérience et mon enthousiasme pourraient apporter à l’équipe.

Je sortais d’une année tellement compliquée que j’ai croqué dedans, sans me prendre la tête. J’ai peu joué mais j’ai kiffé mais pour autant, ça n’était pas encore suffisant et je ne voulais pas arrêter là-dessus. Et l’opportunité Metz s’est présentée…

Tu  y avais déjà passé une année il y a plus de dix ans, sans grande réussite. Pourquoi, cette fois-ci, la magie a-t-elle opéré ?

Le sport, ce sont avant tout des rencontres, des connexions, des moments et je pense que c’était maintenant. J’ai vécu une année géniale. Tout part de la relation humaine et quand tu es bien dans tes baskets, ça ne peut que rouler. A 36 ans, j’ai beaucoup mieux vécu Metz qu’à 22 ans, c’est comme cela et je termine sur ce que je pouvais espérer de mieux !

Tu es de passage à Rennes à l’occasion du Sandball, événement porté depuis vingt ans par le CPB Handball. Que t’inspires ce club ?

Le CPB est une référence en Bretagne, un club formateur, connu pour ses valeurs, ses actions et son ambiance. Plus jeune, je suis venue pas mal sur Rennes, j’ai aussi joué plusieurs fois à Géniaux en amical et j’ai toujours apprécié ce club. Au-delà du CPB, j’aime d’ailleurs beaucoup Rennes et la Bretagne en général.

Au point de vous sentir Bretonne ?

J’avoue me sentir aujourd’hui plus Bretonne que Lorraine (rires) ! J’ai vécu dix ans à Brest, je suis tombée amoureuse de la région, du style de vie breton, de la tranquillité que nous avons ici. Il y a aussi l’océan, les paysages, j’y trouve une énergie, un oxygène particulier. Ma fille est Bretonne, mon mari l’est aussi donc forcément, cela fait partie de moi désormais.

Pour conclure, revenons un petit instant sur Paris 2024, au-delà du terrain. On voit des clubs pros et amateurs en très grande difficulté et un sport dans le dur en France. Quelle est votre position sur le soi-disant héritage des Jeux ?

J’avais énormément d’espoirs en ces Jeux pour faire avancer les choses et on voit qu’hélas, rien ou trop peu de choses bougent. Il faut faire beaucoup plus. Aujourd’hui, le sport n’est pas un loisir ou un divertissement, mais un enjeu, à de nombreux étages : la santé, avant toute chose, mais aussi l’inclusion, l’insertion, la santé mentale, les rencontres… C’est structurant, rassembleur et ça permet beaucoup de choses et l’on voit hélas que les paroles de certains n’ont pas été suivies d’actes…

Le handball souffre aussi d’un manque de visibilité que les titres internationaux des équipes de France n’altèrent pas, hélas…

Nous en avons l’habitude, oui. A peine une page dans l’unique quotidien français sportif pour notre championnat, trois matchs en clair à partir des demi-finales sur les grandes compétitions quand nous allons en finale… C’est peu, trop peu même si Handball TV est arrivé et a le mérite d’exister. Mais il faut beaucoup plus !

Grâce aux réseaux, les joueurs et joueuses prennent  eux-mêmes la médiatisation en main mais cela reste marginal et insuffisant. Il y avait eu du mieux après la victoire à Tokyo nous concernant, chez les filles, puis tout est retombé. Je pense que si on ne se bouge pas pour provoquer les choses médiatiquement, il ne se passe rien et c’est bien dommage…

Signature de l'auteur, Julien Bouguerra.