Théoriquement indissociables mais pourtant pas toujours au cœur des préoccupations des clubs pros, la préparation physique et le coaching mental sont deux éléments capitaux au moment d’appréhender la performance au haut niveau. Pour le « Journal Rennes Sport », Thibaut Minel, préparateur des Irréductibles et Kévin Pinel, Psychocoach mental, nous ont offert une heure de débat et d’échange passionné autour du sujet !
Comment définissez-vous votre rôle auprès du sportif de haut niveau ?
Kévin Pinel : Je suis là pour l’accompagner sur sa gestion émotionnelle, la partie qui n’est pas forcément traitée au quotidien dans l’entraînement. Être alerte sur les à-côtés de sa pratique, comme par exemple les impacts que la vie privée peut avoir sur la performance. Les identifier mais surtout, les prévenir en amont.
Thibaut Minel : Le travail de préparateur physique diffère selon les différents fonctionnements de staff. L’idée est d’accompagner le sportif et d’aller chercher la plénitude de ses capacités athlétiques et physiques pour exploiter au maximum son potentiel. Il faut être alerte sur tous les aspects, il y a préparation mais aussi, prévention des blessures ou fatigue.
Et pour ce faire, une nécessité d’adaptation à chacun en permanence. Mon travail est d’interpeller sur l’état d’un joueur, orienter au mieux le travail en fonction de ses capacités générales mais aussi les capacités du moment. J’essaie de rester dans mon domaine de compétences mais je ne peux pas ignorer non plus l’impact émotionnel et mental, prépondérant dans notre milieu.
C’est là qu’intervient le travail de Kévin…
K.P : Mon boulot, c’est en effet de vérifier, qu’au-delà d’une préparation physique aboutie, l’athlète est en capacité d’exploiter son travail, son capital physique et mental pour performer. Être à l’écoute, attentif, déceler les indices pouvant indiquer un risque, une faille ou au contraire, une dynamique encore plus favorable soit à faire plus, soit mieux. Aider aussi le sportif à mieux se connaître.
Vos deux métiers paraissent ainsi complémentaires, voire même à l’évidence indissociables ?
K.P : Je le pense. C’est comme si on disait « tu vas faire avancer ta tête sans faire usage de ton corps ». L’un ne va pas sans l’autre, et cela date de longtemps, Descartes en parlait déjà. Dans le sport collectif, un coach doit gérer un groupe, soit une somme d’individualités et ne peut pas tout maîtriser sur ses garçons, notamment hors terrain. Le travail du préparateur mental comme du préparateur physique va être sur cette partie restante, où le boulot de Thibaut sera de rendre le joueur optimum et ma mission d’aller booster et aider l’athlète sur la dernière partie encore non travaillée jusque-là.
T.M : Pour moi, qu’un préparateur physique et pourquoi pas, un préparateur mental, où quelqu’un venant en soutien sur cette partie-là, soient présents dans le staff, c’est juste la base. Cela se fait quasi systématiquement aux USA et les résultats parlent pour cette organisation. Au-delà du hand, il y a encore beaucoup de travail avec cela en France.
Être dans la performance, la data, l’exigence de résultat, c’est très bien mais si tu envoies ton ouvrier au boulot avec les mauvais outils… Le joueur professionnel doit être parfaitement équipé, « outillé » et pour cela, pouvoir prendre soin de son corps et de sa tête, qui sont ses atouts numéro 1. Il doit aussi être informé, formé à cela.
Individuellement, je le vois dans le handball, les mecs sont ouverts, se questionnent et prennent pour certains une prépa mentale mais le chemin institutionnel pour avancer sur tout cela est encore long. La remarque vaudrait aussi avec la diététique, autre point capital dans l’approche de la compétition pour le sportif. Là aussi, des spécialistes de la question, dédiés à un groupe voire à disposition des athlètes, seraient évidemment indispensables.
Pourquoi l’ajout d’un préparateur mental auprès d’un groupe pro est souvent tabou dans le sport de haut niveau ?
K.P : En France, la mentalité est particulière. Il y a ce côté où quand on voit quelqu’un en Ferrari, le réflexe est de l’envier ou de le critiquer. Aux USA, on se demande comment il a pu se la payer et on le félicite pour sa réussite. Le préparateur mental est du coup souvent regardé de travers, dans cet ordre d’idée.
Il y a aussi cette imagerie populaire qui veut que l’on soit fou ou bon à interner quand on fait appel à un psy ou à un préparateur mental. L’étiquette de la maladie arrive vite, et amène une connotation négative. Le sportif a aussi, inconsciemment, cette peur de perdre sa place s’il doute, s’il n’est pas performant mentalement ou concède une part de « faiblesse » en se faisant aider. Alors que c’est tout le contraire, avec un vrai plus à disposition pour performer.
Est-ce tabou seulement chez les dirigeants ou coachs, souvent réticents ou aussi chez les joueurs ?
T.M : Je vais répondre pour ce que je connais et dans le handball, où nous sommes bien moins exposés médiatiquement parlant que dans d’autres sports : je ne crois pas que les joueurs aient honte ou peur de cet aspect-là. C’est libre à chacun. Chez nous, Romaric ou Youenn en avaient parlé librement, dans vos colonnes.
Ils sont à l’aise avec cet aspect-là de leur préparation. Pour d’autres, je me base sur les ressentis, les échanges que j’ai avec eux pour sentir quand il y a des choses à considérer, à intégrer. Mais là aussi, nous sommes encore, comme le disait Kévin, sur une notion culturelle. Aux USA, un joueur est capable à la sortie d’un match de te dire qu’il a été nul mais qu’il va se refaire 48 heures plus tard. Et il le fait !
L’expression des émotions, là-bas, qu’elles soient positives ou négatives, n’est pas un souci. Ici, c’est très différent. Depuis petit, on ne nous a pas appris à parler des émotions alors elles restent là, dans un coin, avec tous les risques que cela comporte. Avec Sébastien et Yann, nous sommes très attentifs à cela mais nous n’avons pas forcément le temps et les aptitudes pour gérer cela à 100 %.
Thibaut Minel : « Je pense que le travail des coachs est aussi d’être au fait de ce qui se passe dans la tête des joueurs »
K.P : C’est tout à fait cela. Dans l’imagerie de le Ferrari, le gars qui fait un match plein et qui le dit à la sortie d’une rencontre, au micro d’un journaliste, va tout de suite être qualifié de prétentieux, d’arrogant. C’est juste être conscient de ce que l’on a bien fait, ou mal fait, en cas inverse, et c’est très important dans l’analyse qui va suivre au moment de repartir au travail.
T.M : Je pense que le travail des coachs est aussi d’être au fait de ce qui se passe dans la tête des joueurs, de sentir l’ambiance d’un groupe, avec des relais au sein de celui-ci pour être au fait des aléas des uns et des autres mais cela n’est pas un travail de préparation mentale. Celui-ci est un apport, qui peut être temporaire, en fonction d’une actualité, d’une période donnée.
Je ne crois pas que les coachs soient hostiles à cela mais je pense plutôt que cela revêt de la responsabilité et surtout, des sensations de chacun. Le préparateur mental ne remplace pas le coach ou son influence auprès du groupe, il apporte un outil complémentaire en fonction des périodes ou besoins.
L’athlète doit-il être considéré comme un produit, un outil visant à une performance précise ou avant tout un humain à qui on demande du résultat ? Peut-on demander toujours plus et ce, à quel prix ?
T.M : Si tu poses la question, hélas, c’est que des cas montrent encore qu’elle est légitime, où l’on oublie l’humain derrière le sportif. Ne pas comprendre la personnalité d’un joueur, c’est se tromper d’emblée sur ce que l’on va lui demander, lui imposer. Il faut savoir comment fonctionne un corps, et celui-ci le fait toujours avec la tête, jamais sans.
Dans cette idée, nous travaillons avant tout avec l’humain qu’il faut préparer au mieux pour aller chercher le meilleur résultat possible, avec le maximum de paramètres dont on dispose. Mais ignorer les émotions, la personnalité ou l’état d’esprit du sportif, c’est courir à l’échec.
K.P : Le danger est de ne penser qu’à la performance, de ne pas calibrer les attentes en fonction des capacités d’assimilation du sujet. Nous ne sommes pas tous calibrés de la même manière. Face aux objectifs, il y a toujours une pression, une tension, des meneurs et des suiveurs. Et comme la notion de burn-out ou de trop plein sont souvent détectées trop tard… C’est en amont que l’on doit définir mais jamais un sportif ne devrait être considéré comme un outil ou un produit visant à être utilisé pour atteindre un objectif.
Nous parlons des joueurs, mais les préparateurs, physique ou mentaux, peuvent-ils aussi avoir le besoin d’une préparation dédiée, qu’elle soit pour la tête ou les jambes ?
K.P : C’est même indispensable. Il faut une soupape, surtout quand tu travailles sur la tête des autres, écoute, encaisse les émotions et tensions. A titre personnel, j’ai pris un préparateur physique pour m’accompagner. Je fais de la course, du vélo, du hand et j’ai aussi une vie de papa bien remplie. Et pourtant, je trouve que je n’en fais pas assez.
Mais j’ai surtout appris, grâce à mon coach, que le corps parle, la personnalité se traduit dans certaines postures ou gestes, et nous donne des indices sur l’état des têtes. Quand bien même tu prépares les autres, il n’est surtout pas interdit de prendre soin de toi-même. J’ai également un accompagnement sur le plan mental et dans d’autres domaines de ma vie pour être au mieux avec moi-même.
T.M : C’est évident. J’ai commencé à bosser sur le sujet depuis longtemps, quand j’étais encore en centre de formation à Créteil. J’ai lu pas mal de bouquins sur le développement personnel, j’avais connu une grosse dépression comme joueur à l’époque pour tout un tas de réponses que j’ai pu identifier grâce à un gros travail mental. Tôt, j’ai compris que je n’étais pas fait pour faire carrière longuement dans le hand mais parfois, il faut prendre le mur pour le comprendre.
J’ai travaillé et je le fais encore. L’an passé, j’ai bossé avec Gérard Vaillant, car nous sommes aussi, staff, très impliqués, on y met beaucoup d’énergie et il faut savoir recharger nos batteries. Les joueurs, parfois, me demandent comment ça va, au-delà du « ça va ? » un peu automatique, et ça fait du bien. Il faut savoir cloisonner mais aussi accepter que parfois, un petit coup de pouce est nécessaire.