L’un a gardé les buts du Stade Rennais à 89 reprises. Le second est arrivé en Bretagne en juillet dernier. Leur point commun ? L’amour d’un métier dans le métier : gardien de but. Entre foot et hand, y’a-t-il tant de différences ? Echange passionnant entre deux passionnés d’un poste définitivement à part !
Messieurs, commençons par une question existentielle : « un arrêt de gardien de hand », expression prisée du milieu du football, c’est quoi ?
Simon Pouplin : C’est une parade difficile et c’est souvent quand je regarde un match de hand (rires) ! Mais plus techniquement parlant, dans le langage du foot, on évoque un arrêt à bout portant, proche du reflexe. Mais plus qu’un pied, une main ou une posture, c’est surtout du courage, réussir à sortir le ballon qui semblait promis à rentrer !
Arnaud Tabarand : En foot, je pense que l’on parle surtout des arrêts réalisés avec la jambe vers le bas, à bout portant, ou d’une parade réflexe, très proche du joueur avec un minimum de temps et d’espace pour réagir. On le voit encore plus en futsal. Au hand, c’est forcément monnaie plus courante.
Comment et pourquoi êtes-vous devenus gardiens de but ?
A.T : J’ai toujours été attiré par le poste, depuis la cour d’école. A l’époque, c’était le foot, j’allais dans les buts. J’aime ce côté où l’on est décisif, où l’on peut changer le cours des choses. J’aimais plonger dans la boue aussi, ayant massacré un paquet de pantalons ! Ce poste était inné pour moi, et j’ai logiquement rejoint les buts au hand quand j’ai découvert ce sport à 10 ans. Après, je n’avais peut-être pas les aptitudes pour être attaquant, même si j’ai mis récemment un sacré retourné lors de nos petits foots à l’entraînement. Les gars pourront vous en parler (rires) !
S.P : A l’inverse d’Arnaud, j’ai commencé par le hand, où je n’étais pas gardien mais demi-centre ou arrière. J’étais parmi les grands et je me suis plutôt bien débrouillé ! J’ai une petite fierté à avoir évolué en équipe régionale. Côté foot, comme j’étais grand, on m’a rapidement mis dans les buts et j’ai toujours apprécié ce poste où j’ai eu le bonheur de franchir les étapes jusqu’à devenir pro.
Considérez-vous que ce poste est un « métier dans le métier » et pourquoi ?
S.P : J’ai envie de dire oui mais il ne le faudrait pas. Par la spécificité du poste, oui, on voit souvent les gardiens ensemble, avec le coach des gardiens, pas toujours conviés à la séance collective, au jeu au pied. Cela évolue au fil des années et dépend surtout des entraîneurs principaux. Il y a de l’individualisme pour ce poste qu’il faut, pour autant, intégrer au collectif. Le gardien est aujourd’hui un joueur à part entière dans un dispositif, de par son placement et son jeu au pied. Il reste un footballeur, qui devient un joueur dès lors qu’il ne peut pas utiliser ses mains.
A.T : Nous sommes souvent ensemble sur les temps morts, à deux, nous parlons, corrigeons quand il y a à corriger. De l’extérieur, c’est certain, une séparation est là mais nous appartenons au groupe. Si je suis un joueur de handball professionnel, je suis avant tout un gardien de but. Les entraîneurs de gardien sont d’ailleurs là pour être focus uniquement sur notre perf, avec leur ressenti, la compréhension de tout ce qu’implique le poste. S’il n’y en a pas encore partout, je pense que l’évolution du sport amènera à ce qu’ils soient de plus en plus présents sur les bancs. Après, pour revenir au terrain, si je ne pourrais pas jouer sur le champ en D1, cela vaut aussi pour mes coéquipiers quand ils s’essaient au but. Flo Delecroix est pas mal du tout, pourrait jouer cinq minutes mais pas notre international Axel Oppedisano, qui pourtant, en est convaincu (rires) !
Est-il plus simple d’arrêter un ballon envoyé au pied ou à la main ?
A.T : Au-delà de la puissance d’un tir ou de la position du tireur, ce qui m’épate au foot, c’est la capacité extrême de concentration, la capacité à répondre présent à l’instant T. Un gardien de foot ne peut avoir qu’un ou deux arrêts à réaliser dans un match mais il doit réussir le bon geste. Cette faculté mentale à être prêt à tout moment, c’est fort. La détente aussi, c’est quelque chose, à l’image de l’arrêt de Mike Maignan récemment en équipe de France. J’avoue que de mon côté, la détente, ce ne serait plus vraiment ça au foot. Je ne plonge plus beaucoup !
S.P : Gardien de hand, c’est un courage de folie ! Dans le cadre de ma formation d’entraîneur des gardiens, j’avais eu l’occasion d’aller rencontrer les gardiens de hand du Pole à Cesson. Je m’y suis collé, quelques minutes, dans les buts et là… C’est juste dingue. Tu es sur ta ligne, ou un peu devant et là, des mecs t’arrivent dessus avec des impulsions folles, à pleine vitesse et en pleine puissance… Ils peuvent même se retrouver à 1,50 mètre de toi, en l’air… Il y a un don de soi, une bravoure totalement dingue pour occuper ce poste-là. Le gardien de hand est seul au monde ! Et encore, là, j’étais face à des jeunes de 15-16 ans… Au foot, tu as certaines situations, plus rares, similaires et encore… Quand il y a la vitesse en vue d’un impact, c’est souvent le gardien qui fait peur plus qu’il n’a peur dans sa sortie… Sur un tir de 25 ou 30 mètres, tu peux anticiper, lire une trajectoire. Cela reste un métier compliqué, mais gardien de hand, c’est incroyable…
Le mental et la relation aux autres, que ce soit ses défenseurs ou ses adversaires, est-il essentiel ?
A.T : Je constate qu’avec l’âge, on maîtrise de mieux en mieux le paramètre du mental. Aujourd’hui, j’ai confiance en moi, je suis sûr de ce que je fais bien mais je sais aussi quand je n’y suis pas, et qu’il faut sortir… Nous sommes deux gardiens au hand, sur la durée d’un match. Même si on veut toujours jouer au maximum, surtout quand on est jeune, on se rend compte, en vieillissant, que l’important n’est pas d’être sur le terrain 60 minutes mais d’être performant quand on est dans la cage.
S.P : Cette capacité d’analyse et de recul, au hand, m’épate… Au foot, tu fais ton match, tu luttes pour garder ta place de numéro 1 ou la gagner. Tu es en danger au bout de quatre à cinq matchs de moins bien, pas forcément après une boulette ici ou là…
A.T : Tu n’as pas le choix, au final. Au hand, tu reçois 45 à 55 tirs par match, tu n’as pas le temps de souffler ou de récupérer réellement. C’est comme un boxeur, tu es debout et tu prends les coups, et il faut parer, être intelligent, tenter des choses. Il faut aussi offrir des garanties à tes défenseurs, parler avec eux, qu’ils sachent que tu es là… Je suis bien servi à Cesson, avec de très bons défenseurs mais c’est à moi de leur rendre la vie la plus belle possible !
S.P : Au foot, tu as aussi cette importance, ce que va dégager le gardien. Si on prend l’exemple de Steve Mandanda, à Rennes, c’est très impressionnant. Au-delà de sa qualité technique reconnue de tous depuis bien longtemps, il sait et réussit toujours à être placé pile poil au bon endroit et dégage une vraie sérénité, une assurance autour de lui. Et pour le coup, pour moi qui suis de la même génération que lui, je peux dire que ce n’est pas une question d’âge mais que chez lui, cela a toujours été le cas.
L’âge est-il un facteur déterminant sur un rôle aussi capital ?
S.P : Le talent et la maturité ne sont pas toujours liés à l’âge, surtout avec l’évolution où les garçons arrivent construits physiquement et mentalement, de plus en plus vite. Néanmoins, le vécu des matchs de haut niveau à répétition permet forcément d’avoir une autorité naturelle au fil des années.
A.T : Pour ce qui me concerne, j’ai beaucoup moins de fioritures dans mon jeu, avec l’âge. Cela est récent, je dirais depuis trois ou quatre ans. Je n’ai plus de gestes parasites, j’essaie d’être mieux placé. Si j’ai des jambes moins explosives, je suis beaucoup plus sûr de moi. J’ai des certitudes et j’essaie d’être acteur de mon match. Si ça ne va pas, je vais tout tenter pour inverser la tendance mais aussi sortir si cela est pour le bien de l’équipe. Avec l’âge, on a aussi l’écoute du staff, des partenaires et cela permet un travail collégial encore plus intéressant.
Le milieu du football et le milieu de hand vous inspirent quelle réflexion ? Qu’y a-t-il à prendre et à laisser ?
A.T : La vraie différence, c’est l’argent, forcément. A mon époque, on ne faisait pas du hand en se disant « je vais en vivre ou faire carrière ». Depuis, bien sûr, les choses ont évolué, les joueurs sont prêts de plus en plus tôt, les agents de plus en plus nombreux. J’ai 37 ans et je suis encore là près de vingt ans plus tard car c’est une passion. Ce n’est pas pour l’argent. Aujourd’hui, je suis dans la transmission, notamment avec Yann Pichon, notre jeune gardien issu du centre, même si évidemment, notre sport a bien changé.
S.P : En devenant entraîneur après une carrière de gardien qui m’aura comblé, je crois que je suis de plus en plus passionné par ce sport. Il est unique dans sa capacité à transmettre des émotions qui que l’on soit et où que l’on soit sur la planète. Un ballon, deux équipes et c’est parti, c’est universel. Après, bien sûr, tout n’est pas rose et l’époque de l’image, des réseaux sociaux, impacte notre football comme le reste de la société. Pour autant, je me plais toujours autant à être au bord du terrain. Je vibre peut-être même encore plus quand un de mes gardiens réussit une parade, un arrêt…
Accordez-vous une importance prépondérante aux chiffres, à l’heure de la DATA ?
S.P : Ils sont un outil parmi d’autres, avec l’importance qu’on leur donne. Pour moi, au-delà des chiffres, le jugement sur le bon gardien est basé par rapport à ce que le jeu lui demande. On juge sur les réponses offertes aux problématiques posées par le match. Il y a les arrêts ok, mais aussi les relances, la gestion de la profondeur, la capacité à contrôler sa surface. C’est un tout qui ne doit pas s’arrêter au nombre d’arrêts ou à une boulette…
A.T : Ce qui importe, ce n’est pas le nombre d’arrêts, mais le pourcentage d’arrêts. Le meilleur exemple reste Palicka lors de la venue du PSG récemment. Il n’a fait que trois arrêts mais à 50 %… L’arrêt important est celui qui inverse une dynamique, empêche un retour. A mes yeux, un match est raté en dessous des 28 % d’arrêt, correct entre 28 et 32 et bon au-delà, voire très bon.
S.P : Au foot, au-delà des chiffres, on juge aussi un gardien à sa capacité à être décisif dans les moments clés et les matchs de très haut niveau. Ce que font des gardiens comme Navas, Courtois ou Maignan au très haut niveau montre l’impact et le niveau de ces joueurs-là.
Les gardiens de hand sont-ils plus dans le trashtalking que ceux du foot ?
S.P : C’est une question d’équilibre, de tempérament. Dans le foot aujourd’hui, avec tout ce qui est imposé aux gardiens de buts et la lourde responsabilité qu’il y a, beaucoup de gardiens ont énormément à faire avant de chambrer ou de parler, même si cela fait partie du caractère de certains. Des mecs comme Pascal Olmeta, il n’y en a évidemment plus beaucoup. C’est l’évolution de notre sport qui veut cela.
A.T : Je ne vous apprends rien, j’adore parler, je chambre, je chauffe sur un terrain, sans jamais non plus aller dans l’irrespect. Il peut m’arriver lors d’un tir d’ailier de crier à mon poste 1 « Laisse-le tirer »… Ces quelques secondes de doutes peuvent suffire à le déstabiliser. Chaque détail compte et même dans le chambrage, j’ai appris à doser avec l’âge. Parfois, cela peut coûter aussi et il ne faut pas pénaliser l’équipe. Contre Nîmes, mon deux fois deux minutes pèse peut-être lourd même si au final, je suis sanctionné un peu durement (rires) ! Ce trashtalking fait partie du sport, du jeu car oui, malgré les enjeux sportifs et financiers, jamais je n’oublie que je suis payé, comme le dit ma femme, pour “jouer à la baballe”. Cela aide à relativiser et à savourer un métier à part !