Claude Guinard est le directeur artistique des Tombées de la nuit, véritable institution du monde de la culture et des spectacles vivants rennais. Il est aussi intarissable sur le sport et le Stade Rennais, sa passion née dès ses premières années et restée intacte.
Le spectacle produit avec Massimo Furlan « Le cauchemar de Séville » a connu un beau succès en mai dernier. L’occasion de prouver que sport et culture sont compatibles ?
Les deux mondes n’ont pas à être mis dos à dos, ils apportent chacun à tous et peuvent aussi fonctionner ensemble. Etre fan d’opéra n’empêche pas d’être dans un kop et inversement. Il y a beaucoup de parallèles entre deux mondes que certains veulent opposer mais qui de par leur importance de nos jours, montrent qu’ils viennent régulièrement l’un chez l’autre. Pour “Cauchemar à Séville”, croyez-moi, au-delà du scénario, il y a eu une vraie performance sportive des acteurs. Et pour certains matchs, parfois, cela relève de la dramaturgie pure…
Le sport est un fil rouge (et noir) dans votre vie depuis longtemps !
J’ai toujours baigné dedans. Je suis originaire des Côtes d’Armor et suis arrivé à Rennes à 4 ans. Petit, mon père m’emmenait aux réunions de vélo sur le Vélodrome du commandant Bougouin. J’y ai vu le premier titre de Champion de Bretagne de Bernard Hinault. Mon papa a été notamment réparateur de cycles, le vélo était très présent, le foot aussi. J’ai évolué à l’ASPTT Rennes, participé à la création et au développement de l’ASLC (Association sports et loisirs collectifs), sans doute mon côté militant, avant d’évoluer jusqu’en PH au Rheu et au CPB Cleunay. J’étais milieu défensif, avec une affection pour Tigana et Giresse. Et pour le Stade Rennais…
« Patrick Delamontagne, c’était un poète… C’est aussi lui qui m’a vendu ma maison ! »
C’était quoi, votre Stade Rennais ?
Une culture différente d’aujourd’hui sans doute, faite de petites victoires, de joies et aussi de belles déceptions, d’un peu de loose aussi. Nantes, notamment, dans les années 90 était fort, très fort et nous corrigeait régulièrement tout en forçant le respect de par la qualité de son jeu. C’était compliqué, ça… Néanmoins, nous profitions de chaque petite euphorie pour espérer, rêver, aimer cette équipe et ce club. C’était la voisine qui nous emmenait tous au stade, c’était chouette, même dans le chambrage quand nous étions plus en bas qu’en haut. J’ai aussi le souvenir d’avoir fait un lever de rideau en sélection départementale, inoubliable. Mon Stade Rennais, jeune, c’était Raymond Kéruzoré puis Patrick Delamontagne. Lui, c’était un poète balle au pied, et pour la petite histoire, c’est lui qui nous a vendu la maison où je vis encore aujourd’hui, alors qu’il était devenu agent immobilier. Les supporters d’aujourd’hui ne réalisent pas à quel point le Stade Rennais nous régale, à quel point ses performances sont exceptionnelles et un privilège de jouer l’Europe, de défier les Arsenal et autres Séville. On vit une époque dorée, il faut savoir le savourer !
Avez-vous toujours le même affect pour le club aujourd’hui, à l’heure du football business ?
Je vais être très franc, le foot ne me passionne plus vraiment. L’équipe de France, par exemple, je ne regarde plus, je ne m’y retrouve pas. La célébration de Pogba contre la Suisse, avant de se faire reprendre, ça ne me parle pas… Tous les excès non plus, à l’image de la prochaine coupe du monde au Qatar, que je n’ai aucune envie de regarder, pour tout ce qu’elle représente et qui va à l’encontre de mes valeurs. C’est de la folie pure… Mais le Stade Rennais, c’est différent. Lui est épargné par ce désamour, je ne me l’explique pas, ça reste mon équipe, mon club, mon stade. Je ne regarde que lui, bien conscient qu’il n’échappe pas à ce qu’est devenu le foot mais ça reste intact dans mon cœur et dans mes yeux. Ce côté perfectible, des défaites contre les petits et des victoires inattendues contre les gros, ça permet de vibrer, positivement ou négativement. Ce sont les émotions que l’on retient, peut-être au-delà des titres.
Les émotions sont aussi présentes dans votre travail. Le public a-t-il un rôle capital dans la notion de plaisir dans votre quotidien ?
Clairement, oui. Au sein des Tombées de la nuit (une équipe de 8 personnes), j’ai la charge de choisir les spectacles. Nous avons la spécificité de ne pas avoir de salle attitrée et de pouvoir produire des spectacles partout dans Rennes. Le terrain de jeu est formidable et infini, d’un parc à un cimetière, en passant par un trottoir, un parking, un immeuble. Une fois le cadre fixé, j’aime que le spectateur ait un rôle, actif ou passif, dans l’expérience qu’il va vivre. Le spectacle est vivant pour tous, sur scène comme dans le public. Mettre un groupe de transe ukrainien dans l’Opera, ce n’est pas rien et quand cela fonctionne, déroute le public, c’est que l’on a réussi notre coup.
Le spectateur est ainsi au cœur de vos choix et de vos objectifs ?
Je veux lui trouver la meilleure place, c’est le sens de mon rôle. Qu’il devienne complice, soit surpris, investi. J’aime aussi que cela soit accessible, souvent gratuit en plein air ou sur l’espace public, tous doivent pouvoir accéder à ce que l’on veut offrir. Ce qui m’anime, c’est de surprendre, faire un pas de côté, changer le point de vue et la perspective. Le côté très décalé des Tombées de la nuit, c’est aussi cela. Le sport, comme la culture, sont des terrains de partage où l’on prône le collectif, la communauté et parfois, le vivre ensemble dans des moments improbables. C’est notre mission de service public, de rester accessible et de toujours surprendre, d’être protagonistes, artistes et activistes, bien plus que simples programmateurs ou organisateurs d’événements.
Recueilli par Julien Bouguerra