L’amoureux déchu a cela de si singulier qu’il ne verra toujours le verre qu’à moitié vidé de ce qu’il a tant aimé. Julien Stéphan a donc signé à Strasbourg, ce vendredi, pour ce qui va être sa seconde aventure à la tête d’une équipe professionnelle. Nombre de supporters, pas encore remis de son départ, ne comprennent pas. Qu’ils soient amers, aigris ou tout simplement dubitatifs devant le scénario, tous imaginaient une autre suite à l’histoire, plus heureuse et teintée de « Rouge et Noir », dont le héros ne pouvait fuir le conducteur du récit avant son épilogue. Certains l’imaginaient même déjà en Premier League ou à la tête d’une grosse écurie allemande… D’autres savent que la suite de l’histoire est logique, et pourrait être belle pour lui.
Strasbourg donc… Trois mois presque jour pour jour après un départ qui a marqué les esprits. Prenons un peu de hauteur et regardons la situation d’alors : en février, c’est sans essence dans le moteur que le coach avançait, semaine après semaine, devenant de plus en plus « machinal » dans ses conférences de presse et sans doute aussi dans son discours auprès de son groupe, vidé de l’incroyable sève qui avait révolté et guidé ses joueurs plusieurs soirs d’avril 2019. Le temps a eu raison du sentiment et le technicien, présent à Rennes pendant neuf ans, a été usé et broyé par la machine du football professionnel. Il n’avait plus les ressorts, ni la capacité à se réinventer une nouvelle fois, à raviver les effluves des débuts. La séparation était inéluctable et pour une fois, le mode ne fut pas celui si souvent employé dans un milieu impitoyable ne laissant aucune place aux états d’âmes, encore moins aux sentiments. Non le président n’eut pas à couper la tête pour désigner le coupable. Julien Stéphan le fit lui-même, conscient de ne plus pouvoir donner à « son » club. Décision brutale et rare, non sans sentiments de part et d’autre…
Ceux qui unissaient le club de la capitale bretonne à son jeune entraîneur étaient réels, forts et réciproques. S’il s’est toujours défendu d’être supporter du SRFC, Julien Stéphan l’incarnait mieux que quiconque sur un poste qui cristallise toutes les attentions des plus passionnés. Têtu, opiniâtre, réfléchi et enthousiaste, il a transmis ses valeurs à une équipe qui a offert aux supporters les meilleurs moments de l’histoire du club. Partir sans demander son dû, s’asseoir sur un an et demi de contrat et considérer que partir est le meilleur des présents à faire à ce(ux) qu’il a tant aimé, c’est ainsi que Julien Stéphan, a clôt l’histoire. Il y a de la dignité et de la fierté à la fois dans tout cela. La suite lui donna raison puisqu’avec le même groupe mais des idées et des mots sans doute différents, les résultats sont en partie revenus.
Strasbourg, donc… Est-il ainsi permis d’en vouloir ou de juger le choix de rejoindre un autre club entouré de passion, de l’autre côté de la France ? Chacun est libre de le faire mais à nos yeux, le Racing comme l’ancien coach rennais consentent à un mariage de raison pouvant s’agrémenter rapidement de passion et de réussite. Pour rappel, le Racing Club de Strasbourg possède une vraie histoire (un titre de champion de France, 3 coupes de France et 3 coupes de la Ligue, palmarès qui ne déplairait pas au SRFC), un passé européen et une ferveur indéniable à la Meinau , stade certes vieillot mais bouillant dès que l’occasion se présente. Si la saison des Alsaciens fut chaotique, la faute à un discours sans doute là aussi usé de Thierry Laurey et à une équipe inconstante, les joueurs de qualité sont indéniablement présents et le matériel mis à disposition du nouveau coach. Avec un président aussi ambitieux qu’intelligent, Marc Keller, une belle surprise n’est pas du tout à exclure.
Il n’y a que vingt bancs disponibles en Ligue 1, pour beaucoup plus de candidats, et les places sont ainsi chères et très disputées. Mépriser Strasbourg serait oublier d’où l’on vient, qui nous sommes et également omettre le fait que le nouveau coach des Alsaciens n’a « que » 40 ans, est au début de son histoire personnelle, et ne régresse nullement en s’inscrivant dans un nouveau projet en Ligue 1. Christophe Galtier n’a pas été champion de France dès sa première saison stéphanoise et tout le monde n’a pas la chance de démarrer sa carrière d’entraîneur sans C.V en la matière sur le banc du Real Madrid ou de la Juventus, où la qualité des effectifs mis à disposition interdisent aussi toute analyse trop rapide, dans un sens ou dans l’autre. Ce sera assurément, pour nous, passionnés de foot, un bonheur de retrouver un vrai bon technicien aussi rapidement dans l’élite et nous sommes certains que son accueil au Roazhon Park pour le prochain SRFC – RCS sera à la hauteur de l’empreinte laissée. L’émotion sera quoi qu’il arrive intense pour celui qui avait aussi été contacté entre autres, par Nice et Valladoid cet été. Contre les Aiglons, en ce soir de rupture de février, l’ambiance était glaciale, à huis-clos, avec l’amertume d’une fin d’histoire qui n’était pas ce qu’elle aurait dû être. Qu’il gagne ou qu’il perde quand il retrouvera « sa » ville, Julien Stéphan sait déjà qu’il recevra cet aurevoir chargé de nostalgie, de respect éternel et d’affection, et qu’il sera toujours un peu chez lui au Roazhon Park. Si les joueurs et entraîneurs passent au fil des années, l’Histoire et ses auteurs, elle, comme les supporters, reste à jamais.
Bonne chance, coach !