Au téléphone, d’abord un éclat de rire mais aussi la claque du temps qui passe quand on lui rappelle qu’il débarqua en Bretagne il y a presque 20 ans. Ensuite des rires, et une heure et demi d’échanges passionnants. Frédéric Piquionne, 42 ans, aujourd’hui consultant sur RMC Sport et à la tête d’une société de coaching, n’a rien oublié de Rennes. La preuve !
En 2001, tu quittais Nîmes pour signer à Rennes. Quel souvenir gardes-tu de tes premiers pas en Bretagne ?
Celui d’un gamin émerveillé par ce qu’il découvrait. Je ne connaissais pas grand-chose à ce moment à la D1 qui n’était pas exposée comme elle l’est aujourd’hui. Déjà à Nîmes, en D2, j’avais les yeux grands ouverts alors que nous nous entraînions sur un coin de l’hippodrome … Alors arrivé à la Piverdière, ce fut le choc. Tout était si pro, si grand…
Comment s’est déroulée ton arrivée au Stade Rennais ?
C’est Christian Gourcuff qui m’a repéré puis recruté. Il était venu avec Gérard Lefilatre pour observer un autre joueur et j’avais mis un doublé ce jour-là (victoire 4-3). C’était contre Cannes au mois de mai, pour la 37ème journée. Tout est ensuite allé très vite et j’ai signé dix jours plus tard.
La première année est encourageante malgré peu de temps de jeu. Comment as-tu vécu l’apprentissage de la Ligue 1 ?
Il fallait prendre mes repères à ce niveau, c’était tout nouveau pour moi ! J’ai d’abord évolué en réserve, marqué des buts. En novembre, mon nom a été soufflé au coach Gourcuff pour intégrer l’équipe première. Cyril Chapuis jouait en pointe à l’époque. Lors d’un match contre Créteil en coupe de la ligue, je joue et je mets un doublé. Ensuite, je suis resté dans le groupe. Au total, toutes compétitions confondues, j’ai joué 29 matchs pour 9 buts (dont 3 en championnat, ndlr), ce qui constituait un bon début.
« Si je croisais le Fred’ Piquionne d’il y a 20 ans, je lui parlerais de deux trois petites choses… »
L’adaptation fut plutôt rapide, avec du recul ?
Vous savez, je n’ai pas un parcours classique. Je ne suis pas passé par les centres de formation. Je jouais en Martinique avec les copains, sous 40 °, sans me prendre la tête. Une fois arrivé dans le foot pro, j’ai dû tout apprendre. J’avais des qualités brutes, de la vitesse mais je ne savais pas faire un appel au premier poteau, mes décrochages étaient ultra-prévisibles et je n’étais pas toujours adroit (rires) ! A Nîmes, j’ai énormément observé un gars comme Mickaël Pagis, un régal ! A Rennes, ce fut aussi beaucoup de travail à regarder les autres attaquants, à apprendre. Après, il y avait plein de choses que je ne gérais pas idéalement. Si je croisais le Fred’ Piquionne d’il y a 20 ans, je lui parlerais sans doute de deux trois petites choses…
Lesquelles ?
Il faut prendre soin au maximum de son corps, c’est l’outil de travail pour tout joueur. Les aspects sont nombreux, bien au-delà du simple entraînement collectif et du match. Il y a le fameux entraînement invisible, la récupération, l’observation de l’adversaire, de ses propres matchs. Il y a aussi la partie non sportive, savoir bien s’entourer avec le bon agent, qui conseille pour le bien être du joueur mais aussi de l’homme, qui ne s’intéresse pas uniquement à la prime lors d’un transfert. La préparation mentale est primordiale également, savoir se reposer, savoir répondre au média et gérer son image publique. Quand on devient footballeur professionnel, il y a des choses que l’on peut et doit faire et d’autres pas…
Tu fais référence à cette fameuse altercation avec un supporter lors d’un Rennes – Lille … ?
Cette fameuse « affaire » ! Cela tombe bien que l’on en parle… On en a lu des « conneries » sur cet incident. Ce qu’il se passe, c’est que ce supporter, placé près des bancs et donc, du terrain, m’insulte tout au long de la première période. Moi et aussi ma maman, avec des noms d’oiseaux que je vous passe… Du coup, j’ai eu la mauvaise réaction en montant dans la tribune pour lui demander quel est son problème. Ma mère entendait, elle n’était pas loin… Il n’a plus rien dit, il a dû avoir peur mais jamais je n’ai eu, même pas une seconde, l’intention de lever la main sur lui ! Je ne suis pas fou. Même si je ne connaissais pas grand-chose au monde du foot pro, je savais que tout est filmé, puis interprété, disséqué. J’ai déconné en montant dans la tribune, je n’aurais pas dû mais voilà, je suis aussi un instinctif. Mais jamais, je le répète, je ne l’aurais touché, je n’étais pas idiot à ce point !
Christian Gourcuff parti à l’issue de la saison, Philipe Bergeroo rapidement remercié, place à Coach Vahid ! Quel fut ton rapport avec lui ?
C’est un personnage, vraiment, qui ne laisse pas indifférent. Son vécu se ressent au quotidien dans l’homme qu’il est devenu. On en a bavé avec lui, c’est clair. Quand il est arrivé, il a décidé de nous « remettre en forme physiquement ». Ce fut, très, très difficile, avec des exercices souvent très durs mais nous avons eu des résultats. Et puis on rigolait aussi parfois… Il y a le personnage, la carapace mais aussi ce qui reste loin des lumières. Personnellement, ça s’est bien passé avec lui, j’ai eu la chance de réussir ma meilleure saison, même si je croquais quand même pas mal d’occasions ! J’avais Olive (Monterrubio, ndlr) qui distribuait les ballons, nous nous sommes bien éclatés. Et puis c’était un ancien attaquant, il savait comment me faire progresser.
Lors de la troisième saison, tu as moins joué avec Laszlo Boloni. Etait-ce logique ?
Sincèrement oui. Sur le coup, bien sûr, tu rages, tu te dis pourquoi je ne joue pas, ce n’est pas normal… Avec le recul, je constate que j’avais pris un peu le « boulard », je faisais moins les efforts, je me disais que ça irait tout seul et ce fut une erreur fatale. Alexander Frei est arrivé. Nous étions en 4-4-2 mais j’y étais moins et peu à peu, il s’est mis à enquiller les buts. C’était un renard de surface, un mec d’instinct très fort et comme sa complémentarité avec Olivier était énorme, j’ai logiquement perdu ma place. Le départ est devenu la solution et j’ai quitté le club pour rejoindre Saint-Etienne.
Quel souvenir gardes-tu de ces trois années rennaises ?
Beaucoup de bons moments ! Sur le terrain, le Stade Rennais n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui mais nous nous sommes éclatés. Là-bas, j’ai trouvé des collègues restés pour la vie, que je côtoie toujours : Lamine Diatta est un ami, Anthony Réveillère, Julien Escudé que j’ai revu récemment, Etienne Didot, le petit Gourcuff, Dominique Arribagé. J’ai aussi grandi là-bas en tant qu’homme, progressé et appréhendé le métier de footballeur. J’ai kiffé ce stade, le public, l’ambiance de la ville. Mon premier but contre Monaco là-bas, même si on perd, mon plus beau but au Roazhon Park contre l’OM. Rennes occupe une place à part dans mon cœur et d’ailleurs j’évolue toujours en « Rouge et Noir », avec les anciens quand les matchs sont organisés. C’est toujours un plaisir de venir gagner un derby contre les amis anciens nantais !
Le club a bien changé et semble être entré dans une nouvelle ère. Comment juges-tu son évolution ?
Pour moi, le déclic a été cette coupe de France remportée face au PSG. En gagnant, le Stade Rennais a arraché cette étiquette de looser qui lui collait au dos, s’est émancipé et a surtout réussi à confirmer, ce qui est le plus difficile en football. Il doit beaucoup aussi à Julien Stéphan, dont les résultats sont remarquables ! Pensez-vous, le club vient de remporter une coupe de France, de participer à la Ligue des Champions et de défier Arsenal en 8ème de finale, c’est énorme ! Jamais il n’y avait eu de tels moments et rien que pour cela, le coach est inattaquable sur ses résultats !
Que penses-tu de lui, de sa méthode, sa personnalité ?
C’est un jeune coach, très intéressant dans sa capacité à tirer le meilleur de l’effectif mis à sa disposition et à s’adapter aux situations. S’adapter, c’est la première chose que l’on demande à un entraîneur dans les sessions de formation des coachs. Il a les codes de la nouvelle génération, a la chance de pouvoir questionner son père au besoin, avec l’expérience qu’est la sienne et il travaille vraiment bien. On sent qu’il sait où il veut aller et il s’en donne les moyens.
Et l’équipe ? Quels joueurs te plaisent et qui vois-tu sortir du lot ?
Le collectif est l’arme numéro une de ce groupe. Après, j’aime beaucoup le petit Doku a qui il faut laisser du temps. Patience, il n’a que 18 ans, il a besoin d’apprendre, de progresser mais ses qualités sont évidentes ! Eduardo Camavinga est un phénomène, on le sait mais n’allons pas trop vite non plus. Aujourd’hui, il est un jeune très prometteur en devenir, qui a besoin lui aussi d’un peu de temps. Julien Stéphan le gère d’ailleurs parfaitement et je suis convaincu qu’il peut encore énormément progresser à ses côtés.
Un mot sur ta reconversion. Après avoir passé tes diplômes d’entraîneur, te voilà parti sur une carrière dans les médias en parallèle à un projet de préparateur. Te voilà pleinement épanoui !
Franchement, je m’éclate aujourd’hui dans ces deux activités. Entraîneur, ce n’est pas pour moi, j’ai testé mais ça ne m’allait pas. Dans les médias, j’ai eu la chance de rencontrer Laurent Salvaudon, qui m’a permis de mettre le pied à l’étrier. J’ai d’abord pu intervenir sur la Premier League puis peu à peu, je suis arrivé sur les émissions sur RMC Sport puis sur l’After en radio. Aujourd’hui, je profite à fond de l’expérience, j’essaie d’amener ma bonne humeur, être à la fois sérieux et détendu. Je suis toujours sincère dans mes propos même si évidemment, je peux aussi me planter ! A côté de ces piges, nous avons créé avec Romaric Rupert et Joaquim Batica, agent de joueur licencié F.F, RPC Sport, une structure pour permettre d’encadrer, accompagner et former de jeunes footballeurs. L’idée est d’être une passerelle entre les Dom-Tom et la Métropole. J’ai en charge de la préparation physique, mentale et psychologique du joueur, tout ce que je n’ai pas eu quand j’étais jeune. Le monde du foot est dur et mieux on est préparé, plus on peut durer ! Nous organisons aussi des stages de pré-saison, des événements, même si la Covid a un peu altéré les activités cette année mais pas notre motivation ! Désormais, j’espère vraiment aider de jeunes talents, garçons et filles, à réussir, à intégrer tout ce qu’il faut pour réussir mais aussi durer au haut niveau. Récemment, Hawa Sangaré, passée par nos stages, a évolué en Ligue des Champions Féminine avec le PSG, c’est une vraie fierté et j’espère que beaucoup d’autres suivront !