JRS52 – Laurent Salvaudon « Notre plus beau trophée ? Avoir gagné le respect de tous ! » 

«  Le vestiaire », « Transversales », « J+1 »… Ces émissions incontournables sont nées grâce à Laurent Salvaudon, 37 ans, directeur de la rédaction de RMC Sport mais aussi inconditionnel supporter du Stade Rennais. Rare dans les médias, celui-ci nous a offert une heure et demie de passion pour son métier et le Stade Rennais, membre à part entière de sa vie.

Les présentateurs, consultants et journalistes sont connus de tous mais les directeur de rédaction, moins. Comment atteint-on ce poste ? 
Je n’ai jamais eu pour objectif de devenir directeur de rédaction. Ce sont le parcours et les rencontres qui m’y ont mené. J’ai fait une école de journalisme puis travaillé à l’époque pour Aujourd’hui Sport, où j’écrivais quelques articles. Cela a duré un an puis je suis passé en télé comme producteur. J’avais 23 ans. J’ai réalisé mon stage chez M6 pendant le fameux Euro 2008, celui de la demande en mariage à Estelle Denis… J’y ai rencontré Abel Fernandez, alors producteur sur l’Equipe TV, qui a cru en moi et m’a ensuite présenté à Olivier Ménard, pour produire l’Equipe du Soir et le remplacer à la tête de l’émission. J’y ai été recruté, tout en travaillant aussi sur 100 % Foot sur M6..

Vous êtes ensuite passé par BeinSport, Canal avant d’arriver à RMC ?
Oui, là aussi, ce sont des rencontres. D’abord celle avec Charles Biétry, au lancement de BeinSport, où je travaillais sur la Ligue des Champions. J’y ai passé un an avant d’être débauché par Canal + et Karim Nedjari, qui voulait trouver une émission pour la tranche du lundi soir. C’est là qu’est né J+1. Trois ans plus tard, François Pesenti, alors à RMC, m’a recruté pour le lancement de ce qui était alors nommé SFR Sport. En deux mois, il a fallu recruter et monter une rédaction entière, du journaliste aux producteurs, en créant à l’époque 5 chaînes. Un sacré défi, très formateur ! 

Comment définissez-vous votre métier de directeur de rédaction ?
Je dois dessiner les chaînes de télévision, définir le contenu, l’horaire, le format, ce que l’on y met, qui pour animer, produire et raconter ces histoires. Il y a les matchs aussi, où l’on choisit les angles, les caméras, quels matchs doit-on mettre en avant. Il y a de la stratégie, de l’expertise et surtout, de l’organisation pour avoir les bonnes personnes aux bonnes places, faire travailler tout le monde en gardant toujours à l’esprit une cohérence et la satisfaction du téléspectateur.

Comment vous sont venues les idées de J+1 ou du Vestiaires, deux formats innovants ayant rencontré un franc succès !
Pour J+1, je suis parti du postulat que l’on manquait de créativité en France. Aujourd’hui encore, on se comporte comme si la roue de la vie tournait sans que rien ne change autour. Je n’accepte pas le non renouvellement et il faut être attentif aux différents publics qui ne consomment plus du tout de la même manière. Il existe beaucoup de façons de raconter les histoires. Pour J+1, j’ai pioché un peu partout, je me suis rendu compte qu’il y avait foule d’images que nous n’utilisions voire ne regardions même pas avec toutes nos caméras. Cela a offert les « Instants Cazarre ». Ensuite, les patrons de Canal m’ont indiqué Stéphane Guy, dont ils connaissaient le côté décalé, pour présenter, et tout cela a pris forme. Pour le Vestiaire, l’idée était que des joueurs qui ont connu le haut niveau, tout ce qui s’y passe, puisse en parler sans avoir cette crainte du journaliste qui le piège, quel qu’il soit. Il fallait une voix pour guider tout cela, d’où la journaliste « invisible », dans l’esprit d’En Aparté. Dans mon métier, il faut être alerte, se nourrir de son vécu, ses connaissances à soi, sa sensibilité mais aussi de tout ce qui existe.

Vous réalisez également les matchs, y compris ceux du Stade Rennais. La passion demeure-t-elle intacte quand on travaille sur son club de cœur ?
Je ne consomme plus de la même manière le foot que lorsque j’étais étudiant. A l’époque, j’étais accro, total, il me fallait ma dose, et pas qu’un peu. Je pouvais m’envoyer du foot colombien, argentin ou roumain en rentrant de soirée. J’avais besoin de mes quatre à cinq matchs par jours, en même temps parfois, sur de multiples écrans ! Je me suis aussi construit une grande base de données, une compréhension de ce qu’est le foot, sportivement, socialement. Avec les années, mon rapport au foot s’est dédramatisé. Aujourd’hui, la question qu’il faut se poser, c’est pourquoi je regarde le foot. Je vois trois réponses : la première, les esthètes, qui s’arrêtent uniquement aux gros matchs, la seconde, ceux qui ont une notion d’appartenance, qui ne regardent que leur club, avec passion, peu importe l’affiche et enfin la troisième, ceux qui regardent un feuilleton, se prennent d’intérêt journée après journée pour leur « Plus belle la vie à eux ». Je pense faire partie des deux dernières catégories.

Et votre club, c’est Rennes ! Niveau émotions, vous voilà gâté depuis trois ans !
Je dirais même depuis dix ans. Franchement, le Stade Rennais me semble être le club le plus intéressant et passionnant à suivre sur ce laps de temps, en toute objectivité ! Rennes et moi, c’est passionnel, le Stade Rennais, c’est ma madeleine de Proust, mais aussi mon quotidien, en moi à chaque instant. Pourtant, je n’ai vécu que 5 ans à Rennes, entre 1989 et 1994, avec ma mère. Je suis parti au moment où le Stade Rennais remontait en Ligue 1 et depuis, il n’est plus descendu ! En partant, ce fut comme une révélation…C’était mon club, ma couleur de foot, mes héros. J’ai le Stade Rennais collé au cœur pour toujours.

Quels souvenirs forts gardez-vous de Rennes ? 
Il y en a tellement… J’ai pleuré quand Fauvergue a mis sa tête, la Ligue des Champions, même en tour préliminaire, j’en rêvais… J’avais tous les calendriers à dix journées de la fin de chaque adversaire… Pour l’anecdote, plus tard, j’ai recruté Jacques Faty pour être consultant. Droit dans les yeux, à l’entretien, je lui ai dit « Je ne te pardonnerai jamais ». Il y a eu un long blanc, il ne savait pas, doutait… et j’ai enchaîné : « De ne pas avoir sauté face à Lille et d’être parti libre à Marseille… » Quand j’ai fini par lâcher un sourire, il s’est marré (rires). J’ai aussi le souvenir du dernier match d’Alex Frei, mon idole absolue ! J’avais fait l’aller-retour avec  ma mère, la veille pour voir son dernier entraînement et lui faire signer la Une de l’Equipe consécutive à son quadruplé contre l’OM. Il avait halluciné mais l’avait signée et depuis, elle est chez ma mère, dans ma chambre de gosse. Ça, c’est l’enfance puis à l’âge adulte, il y a des émotions très fortes ces dernières années, tant comme spectateur que professionnellement. Je me souviens aussi d’Antonetti qui avait classé toutes les piques que je lui avais adressé quand je tweetais sans arrêt. Il avait tout ça, dans un classeur, me disant qu’il n’était pas très content. C’était dingue ! Je me suis calmé la dessus depuis !

Quels sont vos meilleurs moments récents?
La coupe de France, sans commune mesure en termes d’émotions, de libération. J’ai pleuré quand N’Kunku envoie son missile au-dessus. Franchement, j’étais tétanisé. Toutes ces années, ces trois finales perdues avant alors qu’elles étaient à portée et celle-ci, juste impossible à gagner, réservée au PSG chaque année, qui nous revient. Toute la frustration sort d’un coup. Je pensais que cette joie, ça nous était interdit. J’étais dans le kop pour toutes ces finales et c’est tout ce qui n’a jamais été possible pour nous, rennais, qui devient ce jour-là possible. C’est une vraie bascule. Le lendemain, j’ai pris le train, j’étais au milieu des supporters à la mairie, champ de mars. C’était inoubliable ! Je me souviens aussi évidemment d’Arsenal, que j’ai vécu du bord du terrain, c’était incroyable, j’ai explosé sur les buts. J’ai vécu ces moments de l’intérieur, le pro que je suis a essayé de canaliser l’amoureux du SRFC que je suis mais franchement, là, c’était dur ! J’avais bouclé une première boucle, démarrée sur une victoire contre Strasbourg 4-0 en 2005, mon premier match. Aujourd’hui, mon club est capable d’ambitionner non plus de jouer un maintien ou un top 10 en Ligue 1, comme à mes jeunes années, mais l’Europe tous les ans, voire gagner une Europe Ligue Conférence. C’est incroyable ! Nous sommes à un carrefour, il manque ce petit plus qui fasse sauter les « auto-limites » qui se posent au sein du club. Cette culture de la gagne, on doit bien sûr remercier Olivier Létang de l’avoir amenée. Depuis, la dynamique est lancée. Quand cette limite va sauter, jusqu’où irons-nous ?

Le Stade Rennais est à sa place aujourd’hui, sur le podium de Ligue 1 ?
Rennes a le 7e budget de Ligue 1 et aussi la 7e masse salariale. Pour des dirigeants, l’objectif classement est déterminé en début de saison par la masse salariale, pas par les transferts et là, Rennes est au-dessus des espérances, ce en jouant superbement ! Ce match contre Lyon, franchement, l’illustre. C’est le plus beau match de l’histoire du club. Je pèse mes mots. A mes yeux, il surpasse tout dans les chiffres, l’esthétisme, la qualité. C’est aussi pour moi le plus beau de la saison en Ligue 1.

Quel enthousiasme ! 
Je le dis tout le temps à mes potes, qui d’ailleurs m’appellent Lucas, en souvenir du grand Severino que je défendais beaucoup à l’époque : nous avons une chance incroyable de vivre ça, c’est un kif total en tant que supporters ! Il ne faut pas se lasser du bonheur que nous offre cette équipe. J’ai l’ambition de ne jamais arrêter de savourer cela de toute ma vie, jamais, je sais trop la valeur que tout cela a. Le foot, c’est un jeu mais c’est du sérieux quand on l’aime et qu’on vibre pour lui !

Ce Stade Rennais vous plait. Un nouveau trophée que vous filmeriez, c’est pour bientôt ?
J’aimerai et je m’autorise désormais à y croire. Me dire qu’on est là, en coupe d’Europe, c’est génial ! Notre plus beau trophée, c’est d’avoir gagné le respect de tous. Il n’y a plus de moqueries sur Rennes, c’est fini, tant sur les résultats, le jeu que sur l’ambiance au stade. C’est difficile de gagner cela. Rennes existe par sa mentalité, sa qualité, ce qu’il propose. Plus personne, chez nous, n’a peur de défier Lyon, Marseille ou Monaco. Il manque encore un titre de champion, et ça, il faut plus de 85 points et un PSG un peu dans le dur pour l’avoir. Le jour où nous aurons des gamins qui supporteront Rennes à Maubeuge ou Bayonne, parce que ça joue bien, parce que ça fait vibrer, alors là, oui, la dernière étape sera franchie !