Envoyez la note ! (ou comment les joueurs sont notés) [Partie 1]

Elles font partie de l’histoire, sont sujettes à la controverse et aux débats. Parfois elles fâchent, parfois elles influent. Elles, ce sont les fameuses notes données aux joueurs, que ceux-ci, soi-disant, ignoreraient… petit voyage dans un pays pas si simple qu’il n’y parait avec la majorité des acteurs d’un exercice polémique !

Et si finalement, tout cela n’était qu’une sorte de petite revanche, un petit pied de nez au destin qui nous permettrait à nous, journalistes, de devenir ce professeur qui tint si souvent notre destin du bout de son stylo rouge ? Parce qu’une note sanctionnait notre dur labeur, époque étudiante, ne tenant pas ou peu compte de tout l’investissement que nous y avions mis ou de notre compréhension de la consigne, il faudrait donc que désormais, armés de nos claviers, nous infligions semblable sentence à ces joueurs dont nous racontons les exploits au fil des semaines avec passion. Ainsi soit-il, les notes de joueurs sont devenues un incontournable, apprécié ou non. Une fois le décor planté, reste à savoir qui note, et comment. Pour en savoir plus, nous avons donné la parole à nos confrères locaux Johan Rigaud (L’Equipe), Vincent Simonneaux (TVR), David Thomas (Le Télégramme) et Clément Gavard (So Foot) afin d’en savoir plus sur les coulisses de ces fameuses notations, tant attendues de tous !

Messieurs, quels sont vos critères pour noter un joueur ? Dans quelles conditions les travaillez-vous ?
Vincent SIMONNEAUX :
Il y a des notes à Pleine Lucarne, pratiquement depuis l’origine de l’émission. Nous avons aussi, a une époque, noté l’arbitre et le coach, mais nous avons abandonné. Pour les notes PL, il faut au moins sept notations différentes pour faire une moyenne, c’est la règle que je me suis fixé. Je travaille au stade et chez moi, devant la télé. Je préfère la notation au stade, évidemment, la télé étant un peu réductrice car il faut aussi noter le jeu sans ballon. Cela dit, les ralentis de la télé permettent aussi d’être plus juste. Dès le coup de sifflet de final, j’ai mes notes. Mes critères ? L’influence sur le jeu de l’équipe et sur le résultat, le respect des consignes, l’attitude sur le terrain, le comportement en général. Je trouve que sur 90 minutes, ce n’est pas franchement compliqué d’avoir un avis sur 11 joueurs.
David THOMAS : La prestation générale évidemment prime, mais il y a bien sûr les évènements particuliers du match (l’implication sur des séquences particulières…). Il est souvent plus difficile de noter un latéral qui a fait un match sans éclat qu’un ailier qui a été ou pas décisif… Je bosse toujours en direct du stade, question de feeling et je note les 11 joueurs locaux. Nous avions même des notes sur 20 mais depuis que nous sommes repassés sur 10, nous n’avons plus le droit aux demi-points, ce qui donne des notes assez tranchées.
Clément GAVARD : Ça se joue beaucoup au feeling et au ressenti du match. J’essaie cependant de ne pas ajouter deux points automatiques à un joueur parce qu’il a marqué un but, ça peut parfois fausser la réalité de sa prestation. Quand je travaille sur un match, que ce soit au stade, à la maison ou au bureau, je suis généralement dans le rush donc il est très difficile de pouvoir observer chaque joueur. Noter les 22, c’est impossible à mon sens. 11, c’est déjà difficile. Mais le fait d’être le nez dans mon compte-rendu pendant une partie de la rencontre fait que ma perception du match de deux ou trois joueurs ne sera pas la bonne.
Johan RIGAUD : Nous avons le barème suivant pour les joueurs ayant joué au moins 45 minutes : 10 pour match parfait, 9 match exceptionnel, 8 très bon match, 7 bon match, 6 match satisfaisant ; 5 match moyen, 4 match insuffisant, 3 match mauvais, 2 très mauvais match, 1 match exécrable, 0 match ponctué d’un comportement inadmissible. La note et le commentaire qui va avec tentent de refléter notre ressenti selon le poste occupé et la façon dont le joueur a existé dans le match avec sa qualité individuelle et son apport dans le collectif et l’animation du jeu, à travers les efforts, la qualité technique, l’intelligence de jeu, la lecture du jeu, le jeu avec et sans ballon, les déplacements, et beaucoup d’autres critères technico-tactiques. Sur un match de L1, on note les 22 joueurs, les entraîneurs, l’arbitre (plus un nombre d’étoiles pour le match) depuis le stade, seul ou à deux voire plus selon l’importance du match. Quand nous sommes deux, on commente les notes des joueurs d’une équipe chacun, on envoie dans les 5-10 minutes après le coup de sifflet final. A signaler que L’Équipe a longtemps refusé de pratiquer l’exercice des notes. Si elles existaient depuis 1958 dans France Football, elles ont fait leur apparition dans notre quotidien le 20 novembre 1980, au lendemain d’une défaite (1-4) de l’équipe de France contre la RFA. Elles sont apparues en Championnat sept ans plus tard, à l’été 1987. Les demi-points ont été abandonnées en 2009.

Le journaliste est-il légitime et crédible dans cet exercice ? Pourquoi ?
Vincent SIMONNEAUX : Les notes, c’est quelque chose que le téléspectateur aime bien, mais c’est aussi le sujet qui fâche, dès lors qu’on les publie sur les réseaux sociaux. Les gens deviennent fous alors que je ne publie que des notes qui sont une moyenne de dix journalistes pros….. Dix, ça veut quand même dire quelque chose ! Et à partir du moment où les journalistes sont légitimes pour écrire ou parler, je ne vois pas pourquoi ils ne le seraient pas pour noter…
David THOMAS : Oui, il l’est puisque c’est son métier de juger les prestations des joueurs et équipes. Le fait d’être, ou non, un ex-joueur pro, ne doit pas entrer en ligne de compte. Alors, on peut toujours dire que les journalistes ne connaissent pas les consignes exactes données par le coach mais il doit faire avec les éléments en sa possession et souvent, très souvent, dans une urgence certaine.
Clément GAVARD : Probablement pas, mais c’est un exercice qui s’est tellement imposé dans les mœurs du journalisme de sport qu’on finit tous par y passer. Et surtout, quoi qu’on en dise, ça plaît aux lecteurs de pouvoir comparer leurs notes avec ceux de différents médias, c’est comme un jeu. Mais comme le disait très justement récemment Damien Da Silva, nous n’avons pas toutes les données en main pour noter un joueur. On ne sait pas toujours quelles sont les consignes du coach par exemple, et ça a pourtant une influence importante sur ce que va faire (ou non) le joueur sur le terrain. Chez So Foot, c’est aussi pour ça que le choix d’écrire est fait d’écrire nos notes avec légèreté et humour. On a le droit de mettre 10 à un joueur parce qu’on a aimé un petit pont à la 10e minute, ou 2 parce qu’on n’a pas aimé comment il portait son short. Ne pas se prendre au sérieux, ça permet aussi de minimiser l’importance des notes. Bon, ça demande souvent de l’inspiration devant les matchs, et ce n’est pas toujours facile de viser juste !
Johan RIGAUD : Oui parce que notre mission est de rendre compte d’un match, de l’analyser et de voir quel a été le rôle des acteurs à travers le ressenti d’un jeu qui nous passionne, pour tenter de coller à la réalité du match avec un œil averti. C’est une affaire de sensibilité personnelle à travers notre rapport au foot, et professionnelle. L’exercice est délicat, on ne détient pas forcément la vérité, une note peut faire débat et il peut arriver de regretter une note au lendemain d’un match. Prenons la prestation de Flavien Tait récemment contre Strasbourg. J’ai mis 7, il aurait pu avoir 8. Il a emmené son équipe, il a rayonné sans être décisif sur le seul but du match. Les deux notes étaient possibles avec des arguments pour l’une et l’autre. On évalue aussi par rapport à la qualité de l’adversité, plutôt défaillante ce jour-là. Il arrive de réajuster des notes de joueurs selon la note moyenne de chaque équipe. Entre Rennes et Strasbourg, quelqu’un me fit remarquer que l’écart entre les deux équipes était élevé alors qu’il y avait un but d’écart. Mais Rennes n’avait presque pas été mis en danger et aurait dû en mettre au moins un deuxième en seconde période.