Pour nous, pas de doutes : Julien Stéphan reste l’homme de la situation !

Même sans public et sans le règlement de ses droits TV négociés par des dirigeants punis de leur cupidité, le monde du foot français est toujours prompt à marcher sur la tête à la moindre contrariété et à dégainer sur les cibles les plus simples à toucher. Patrick Viera, Christian Gourcuff et Stéphane Jobard peuvent en témoigner…Pour nous, hors de question d’ajouter le coach rennais à la liste !

Poser la question d’un renvoi de coach est déjà y répondre un peu. Pourtant, bien souvent, cela ne change rien ou presque ! Les raisons de cette tentation irrépressible, mais rarement assumée, d’appuyer sur le bouton, au nom du sacro-saint intérêt de « l’institution », découle d’une impatience de victoires. Brûler ce qu’on a tant aimé, couper des têtes (plus précisément celle de l’entraîneur), l’ange déchu (supporter ou dirigeant) n’a que faire d’imposer de « payer » au mécréant son « échec » alors que l’on parle bien de sport collectif où chacun a sa responsabilité, dans la victoire comme dans la défaite ! Nous refusons de tomber dans cet écueil et au contraire, pensons que, plus que jamais, Julien Stéphan est l’homme de la situation, si compliquée celle-ci soit-elle.

Un contexte hors-normes

Pour apprécier avec honnêteté intellectuelle le bilan sportif, décevant depuis un mois et demi, il est utile de contextualiser celui-ci. Les matchs se jouent, depuis fin septembre, tous les trois jours ou presque, hormis lors des trêves internationales ou cependant, plusieurs cadres indiscutables de l’équipe ont été abondamment sollicités par des matchs amicaux sans intérêt et les effectifs clairsemés. Impossible, dans cette configuration, de travailler physiquement, tactiquement ou spécifiquement les postes ayant besoin de l’être. L’enchaînement infernal des rencontres à haute intensité, notamment en C1, est supportable pour des effectifs suréquipés comme ceux du PSG et dans une moindre mesure, de Lille mais moins pour des équipes telles Rennes, Marseille ou Nice, ayant tous les trois trépassés dès les poules. Tout sauf un hasard… Manque de profondeur, d’expérience, de talent ou tout simplement de temps pour travailler entre chaque match, il y eut sans doute de cela. Contrairement à ses deux acolytes hexagonaux, le Stade Rennais a eu le mérite de jouer à fond l’Europe, alignant à chaque fois sa meilleure équipe mais cela n’aura pas suffi. Les déceptions continentales ont marqué mentalement des joueurs si impatients de découvrir une compétition finalement bouclée sans saveur ni frissons, hormis lors de la première journée, la faute à l’absence de public à partir de la seconde. Les matchs parsemés d’erreurs d’arbitrage pénalisantes sur le plan de la confiance mais aussi à l’incapacité de l’équipe à se montrer réaliste. Le manque de maturité au plus haut niveau n’est pas le fait d’un coach, mais celui d’une absence de vécu commun. Il est aussi celui de dirigeants, à Rennes comme partout en France dans le foot d’aujourd’hui, qui, avec l’obligation financière de changer les effectifs au mieux tous les deux ans, ne peuvent pas, en même temps, demander à leur techniciens de construire et de faire perdurer la performance et les priver, en vue de cela, de leurs meilleurs éléments…L’élément de langage vis-à-vis des médias et des supporters est une chose, la réalité une autre. La politique et l’application de celle-ci s’entrechoquent et offrent des déceptions sportives, nullement effacées par les pécules obtenus par les transferts quelques mois plus tôt uniquement destinés à maintenir à flot les clubs plus qu’à réellement les enrichir. Surtout à ce jour… Rennes, comme d’autres, bien au-delà de son actionnariat, n’échappe pas à la règle et a dû se résoudre à laisser filer cet été Edouard Mendy, l’un des patrons du vestiaire, Raphinha, joueur irrégulier mais détonateur ou encore Ramy Bensebaïni et Ismaïla Sarr il y a un an contre de rondelettes sommes, bien plus convaincantes que le projet sportif pour le second. Ainsi va le foot d’aujourd’hui, subi par des techniciens dont l’avis et les envies sont écoutés mais pas toujours réalisables. Avec ne serait-ce que ces quatre joueurs-là dans l’effectif, le coach peinerait-il autant à confirmer les bons résultats obtenus depuis deux ans ? Autre absent de marque à l’impact colossal, le public ! Celui qui aujourd’hui, vit mal ce passage à vide, souffre d’autant plus qu’il était un vrai acteur de la nouvelle ère rennaise, capable de pousser ses joueurs à la victoire et de gagner 5 à 6 points à lui tout seul sur une saison. S’il vit mal le manque de résultat aujourd’hui, qu’il intègre que les « Rouge et Noir » vivent encore plus durement son absence avec pour seul décorum des sièges vides et l’écho du bruit de frappe dans un ballon cherchant ces temps-ci désespérément le plaisir et la saveur d’antan dans des stades vides et tristes. Incontestablement, cela pèse aussi…

Pour remplacer les partants, de nouveaux joueurs sont arrivés, tardivement. Stratégie d’attente pour ne pas « surpayer », perte d’autres dossiers plus prioritaires ? Nous n’avons pas les réponses. Toujours est-il qu’Alfred Gomis, Daniele Rugani (blessé au bout de dix minutes à Séville, pour sa première apparition) et Jérémy Doku, pour les trois recrues les plus tardives du mercato rennais, ont rejoint la Bretagne début octobre, soit il y a deux mois à peine ! Comment demander à ces garçons d’avoir automatismes, plénitude athlétique, acquisition tactique et affinités avec tout le monde en si peu de temps, surtout dans le contexte lunaire de la crise sanitaire qui rend chaque entraînement ou journée particulière et remplie de contraintes en tous genres ? Soyons raisonnable, du temps est nécessaire pour valider (ou invalider) un mercato totalement atypique cette saison, traîné de juin à octobre ! Entre désirs de départs déchus, points de chute non trouvés ou départs en fin de marché, l’homogénéité du groupe n’a pu être instantanée. Comme par hasard, d’ailleurs, les quatre journées disputées avant la fin du mercato, ont offert autant de victoires… Au cœur de celles-ci, seuls Martin Terrier, Nayef Aguerd et Serhou Guirassy ont trouvé leur place et aussi l’efficacité recherchée. L’erreur aura peut-être été plus dans la communication des dirigeants, parlant de recrutement de niveau « Champion’s League ». L’attente suscitée alors aura peut-être trop grande en rapport avec la réalité. Le recrutement orchestré par Florian Maurice et Nicolas Holveck, avec l’aval de Julien Stéphan, tarde pour le moment à apporter satisfaction. Pour le moment… Jérémy Doku a du feu dans les jambes mais doit encore savoir comment faire mal avec celles-ci, Nayef Aguerd est décisif tant par ses tacles in-extremis et ses buts de la tête qu’il est encore perfectible dans sa constance, notamment sur l’aspect concentration défensive. Serhou Guirassy, enfin, a déjà inscrit six buts toutes compétitions confondues mais manque de soutien et de ballons dans les 16 mètres, plus que de volonté ou d’envie de tout donner ! Alfred Gomis, arrivé avec un prix sur l’étiquette qu’il n’a pas choisi, porte aussi la difficulté de succéder à « Edou ». Le potentiel est là, comme prouvé à Séville mais là aussi, manque encore trop d’automatismes pour être pleinement satisfait. Martin Terrier, enfin, touché par la Covid 19 ces dernières semaines, a montré de vraies qualités mais doit trouver sa place sur le terrain. Sur son cas, le coach devra trancher, tactiquement, pour valider un transfert important mais là aussi, à classer dans la catégorie des paris sur de jeunes joueurs à fort potentiel.

Une remise en question générale

Alors non, la série de douze matchs avec une seule victoire arrachée contre Brest ne doit pas être ignorée ou minimisée mais ne doit pas non plus inciter à foncer dans le mur du chaos. Virer Julien Stéphan, celui-là même qui a construit et mené son équipe à tant d’attentes de toute part, grâce à ses résultats antérieurs, ne rimerait à rien. Fin septembre, ce même entraîneur, avec des méthodes similaires, aujourd’hui pointées du doigt, était leader du championnat. Les mêmes qui l’éjecteraient bien aujourd’hui étaient les premiers à en faire la révélation de l’année. Dans une saison si particulière, la régularité est un Graal après lequel beaucoup vont courir sans forcément l’attraper ! Ni Laurent Blanc, ni Jocelyn Gourvennec ou d’autres, n’ont de baguette magique ou de solution pour remettre cette équipe à l’endroit. La révolte viendra du terrain, de joueurs capables de faire bien mieux. Retrouver l’efficacité (19ème équipe de Ligue 1 au ratio des frappes cadrées par rapport aux tirs tentés) et la réussite (déjà 12 poteaux cette saison !) serait un bon début.

Grandir, c’est aussi souffrir et accepter ces moments difficiles qui, plutôt que de diviser, doivent rendre plus forts et solidaires. Vanté et félicité à parts égales il y a deux mois pour ses premiers résultats, le triumvirat rennais Holveck–Maurice-Stéphan partage également les responsabilités quant à la situation actuelle. Florian Maurice dans le choix des hommes et la direction sportive choisie, qu’il devra assumer vis-à-vis de l’actionnaire. Président depuis mars, Nicolas Holveck s’est solidarisé de son entraîneur, insistant sur le fait qu’il est l’homme de la situation et a déclaré, chez Ouest France, qu’il aurait peut-être dû « Dans ce contexte, le premier qui se remet en question, c’est moi puisque c’est moi le patron (…) Est-ce que je n’ai pas assez soutenu Julien? Est-ce que je n’ai pas été assez dur avec les joueurs dernièrement? J’attends une réaction forte des joueurs parce que je suis convaincu que la réponse viendra des joueurs. J’attends vraiment une réaction très forte du groupe, une réaction collective». Pour lui aussi, la recherche de solutions pour continuer d’avancer, au-delà des mots, est d’actualité. Forcément, dans l’esprit de beaucoup, revient le passé récent fait d’automnes difficiles, souvent marqués de décisions fortes de l’actionnaire au-dessus du terrain (départ de René Ruello en 2017 puis d’Olivier Létang en 2019 sans pour autant changer la direction sportive en place. En est-on arrivé là ?

De retour aux vestiaires, Julien Stéphan reste celui qui est censé connaître le mieux ses joueurs. Il doit trouver les solutions pour remettre les têtes à l’endroit. Le match de Lens, illustration totale des très grandes difficultés actuelles, sera-t-il le fameux fond touché pour remonter à la surface, celle des ambitions du club ? Les mots du coach et de Benjamin Bourigeaud, après la partie, furent forts. L’état d’esprit d’une équipe « devant acquérir le mental d’un candidat au maintien », évoqué par Julien Stéphan, appelant à une détermination bien supérieure dans chacun des gestes à l’entraînement comme en match.  Un vrai défi, ardu, attend le coach qui remettra le travail et l’implication de tous au cœur du projet pour avancer de nouveau et continuer de faire grandir le club de sa ville de naissance, au-delà de son cas personnel. Restons lucides : trois victoires de rang suffiraient à remettre le club dans le top 5 et la crise serait alors déjà lointaine… Un peu de patience semblerait bienvenue, au-delà de chiffres, certes inquiétants, mais bien moins que les contenus ou les attitudes… La remise en cause s’impose et ne pourra guère attendre.